Cannes 2016/ Julieta de Pedro Almodovar : critique

Publié par Antoine Gaudé le 20 mai 2016

Synopsis : Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía la pousse à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía une semaine plus tôt. Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec sa fille qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle décide de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours. Julieta parle du destin, de la culpabilité, de la lutte d’une mère pour survivre à l’incertitude, et de ce mystère insondable qui nous pousse à abandonner les êtres que nous aimons en les effaçant de notre vie comme s’ils n’avaient jamais existé.

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Julieta - affiche

Julieta – affiche

Le vingtième film de Pedro Almodovar, Julieta, est un drame d’une puissance émotionnelle inouïe. Le réalisateur espagnol y signe probablement son meilleur film depuis Parle avec elle (2002). D’une richesse plastique – l’expérimentation graphique et colorimétrique du cinéaste atteint ici des sommets – et narrative remarquable, Julieta est le récit d’une disparition/séparation entre une mère (Julieta) et sa fille (Antia).  À chaque nouveau film du cinéaste, il semble de plus en plus difficile de contester ce fameux statut de « plus grand » portraitiste féminin à Almodovar – sorte de George Cukor à la sauce espagnole – tant celui-ci excelle une nouvelle fois à dépeindre ce spectacle de la femme au bord de la crise de nerfs. Chaque gros plan, chaque visage de femme capturé par sa caméra magnifie, tout en les disséquant en profondeur, ces merveilleuses actrices pourvues d’un naturel confondant pour ne pas dire unique dans le paysage cinématographique actuel. Autre qualité probante, celle de la construction narrative qui s’avère être un pur régal : la maîtrise parfaite des ellipses agence une logique de narration horizontale (le récit s’étale sur plusieurs années) extrêmement limpide et cohérente ; sa mise en scène (des décors aux accessoires en passant par la musique) construit toute une symbolique, plus ou moins visible, évoquant des sentiments aussi profonds que ceux de la culpabilité, de l’incommunicabilité, de la séparation et du deuil. Tous ces grandes thématiques ou pistes réflexives traversent le film, se répètent et viennent ainsi nourrir la trajectoire du personnage de Julieta qui, malgré la singularité d’une histoire personnelle, atteint une universalité à laquelle toute personne sera finalement sensible. C’est donc bel et bien la vision humaniste, jamais moralisatrice, d’Almodovar qui, malgré les déboires religieux d’Antia plongée dans un fanatisme mystérieux, ne porte jamais un jugement arbitraire sur les agissements des différents protagonistes. En outre, il excelle lorsqu’il s’agit d’incarner ces sentiments complexes et ces agissements ambigus propres à l’être humain ; de leur donner cette épaisseur et cette sensibilité qui ont fait la splendeur de certaines de ces figures iconiques les plus connues. Il n’a d’ailleurs pas son pareil pour discuter de notre rapport à l’éducation parentale, à l’adultère, à la maladie ou même à la mort. Ainsi, il s’interroge sur les replis de l’inconscient, il crée presque un espace féminin mental, étrange et pourtant attachant, autour des lieux que partage Julieta avec ses proches (les appartements de Madrid, la maison en Galice, etc.).

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Adriana Ugarte - Julieta

Adriana Ugarte – Julieta

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Si filmer des familles déréglées par un drame n’a rien d’original en soi, c’est la manière dont Almodovar saisit les nuances et les changements d’attitudes, de gestes et de paroles qui confère au film toute sa quintessence, à savoir le cœur du véritable drame : le renfermement sur soi, le repli et la censure. C’est bien l’après-drame qui finit par détruire la relation mère-fille. Et la grande force ici est d’avoir su conserver son rayonnement incandescent jusqu’au bout, sans jamais tomber dans le misérabilisme ou le pathétique (Julieta reste magnifique malgré l’abattement). Almodovar nous fait vivre la dépression d’une mère « malade » poursuivant, à travers un difficile travail sur la mémoire (les scènes sur le terrain de basket, le déménagement, la tentation à l’oubli), l’image absente d’une fille ô combien désirée. Almodovar dissimule constamment des « indices » qui façonnent le caractère « malade » de Julieta : le traumatisme de l’homme du train (la figurine de l’homme assis qui la suit en permanence) ; le poids que pèse dans son univers ces mères castratrices ou malades ; le geste brutal du câlin à la meilleure amie à l’annonce du drame sous le regard de la mère ; ce père volage et lui-même absent, etc.

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Et surtout, Almodovar a l’intelligence de ne jamais offrir cette image, de la rendre visible ; il ne succombe pas aux retrouvailles mère-fille sous la forme prévisible du happy-end (le dernier plan est à ce titre magnifique). En effet, avec Julieta, il touche juste et loin, car il se pose définitivement les bonnes questions – l’intermède sur Ulysse et l’étymologie du mot « mer » comme « Pontos » (désir d’aventures) pour décrire le personnage de Xoan, le mari de Julieta, est tout simplement brillant – et démontre une faculté unique à dépeindre la complexité des rapports humains en s’inspirant de mythes séculaires, communs à tous, comme reflet imageant de nos désirs sublimes ou pervers. Il est d’ailleurs intéressant de noter tout ce jeu de basculement d’ordre presque mythique autour d’une jeunesse « dorée » précédant le drame (avec la naissance d’Antia) suivie d’une terrible dépression post-drame, et enfin d’une possible « renaissance », via ce dernier plan d’une beauté lyrique incroyable et qui, à lui tout seul, emporte la mise (la partition d’Alberto Iglesias y est pour beaucoup). Avec Julieta, le cinéaste espagnol signe un drame d’une vitalité bouleversante. Un paradoxe, ou plutôt un « mariage des contraires », qui confère au film sa plus belle qualité, au-delà de toute écriture cinématographique et autres interprétations, celle de nous ouvrir les yeux et de ne jamais perdre espoir en la vie.

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Antoine Gaudé

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  • JULIETA de Pedro Almodovar en salles depuis le 18 mai 2016.
  • Avec : Emma Suarez, Adriana Ugarte, Daniel Grao, Rossy de Palma, Inma Cuesta, Dario Grandinetti, Michelle Jenner, Pilar Castro…
  • Scénario : Pedro Almodovar d’après l’oeuvre de Aline Munro
  • Production : Augustin Almodovar, Pedro Almodovar, Esther Garcia
  • Photographie : Jean Claude Larrieu
  • Montage : José Salcedo
  • Décors : Carlos Boledon
  • Musique : Alberto Iglesias
  • Distribution : Pathé Films
  • Durée : 1h40

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