Résumé : Le triangle amoureux fait partie intégrante de la définition structurelle et de la syntaxe de la comédie hollywoodienne classique des années 1930-1940. A partir de cette hypothèse, sont abordées les sources théâtrales puis l’importance de cette convention dramatique et de ses déclinaisons narratives dans la construction du récit, la mise en scène et la promotion des comédies hollywoodiennes, d’Ernst Lubitsch à Preston Sturges en passant par George Cukor, Howard Hawks ou Leo McCarey. La théorie du désir mimétique de René Girard éclaire aussi la fiction romantique hollywoodienne.
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Après la vaste étude de Grégoire Halbout consacrée à la screwball comédie hollywoodienne (publiée en 2013 aux Presses Universitaires d’Artois), Toufic El-Khoury, enseignant et coordinateur à l’école de cinéma de l’Académie Libanaise des Beaux-Arts ainsi qu’à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, prouve la vitalité et l’engouement jamais démentis de la recherche universitaire pour la période du classicisme hollywoodien. La comédie hollywoodienne est ici envisagée comme un genre fécond, héritière de différentes tendances théâtrales et littéraires. L’auteur n’hésite pas à revenir sur les origines populaires du genre, et notamment le vaudeville, sans se laisser obnubiler par sa caution élitiste (l’héritage shakespearien), un écueil que n’ont su éviter bon nombre de ses exégètes (Stanley Cavell en tête). Principalement structurelle, l’analyse tend parfois vers l’esthétique, souvent vers l’histoire d’une période (1929-1945) que les notions et concepts employés par El-Khoury approfondissent de manière tout à fait sensible. Voilà sans doute le premier apport de cet ouvrage : prouver la pertinence des catégories développées par René Girard à l’intérieur des études cinématographiques. Le désir mimétique ou la structure triadique trouvent ici un un objet d’étude particulièrement fécond. À partir d’un film, d’une séquence ou d’une œuvre en particulier, El-Khoury souligne les évolutions, les continuités, les disparités et les connections entretenues par les films d’un corpus non exhaustif mais suffisamment vaste pour justifier ses hypothèses. L’analyse comparative bat son plein. La confrontation de deux films de Ernst Lubitsch réalisés à quatre ans d’intervalle, Sérénade à trois (1933) et Ange (1937), révèle l’influence du Code Hays sur la structure de la comédie romantique hollywoodienne. À la justification de l’amour partagé répond le triomphe du tandem relationnel à travers un happy end, sans doute escompté, mais plus ouvert qu’il n’y paraît.
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Plus insolite, la mise en rapport des Lumières de la ville (Charlie Chaplin, 1931) et de Rendez-vous (Ernst Lubitsch, 1940), un parallèle qui prouve son efficience par le biais de la figure du double. La récurrence d’un motif visuel, d’un enjeu scénographique ou d’une situation narrative assure la réussite de l’entreprise. L’ouvrage de El-Khoury ouvre de nombreuses perspectives de recherche. Les réflexions de l’auteur pourraient se généraliser à un corpus plus large et on se prend à reconsidérer la vision de comédies plus contemporaines. Par ailleurs, la pertinence dont fait preuve El-Khoury dans son emploi des catégories girardiennes invite à un plus large développement. La figure du bouc-émissaire, par exemple, sur lequel le classicisme hollywoodien s’est souvent penché, notamment à travers les films sociaux produits par la Warner dans les années trente. On attend donc beaucoup de cette nouvelle génération de chercheurs qui parvient avec brio à prendre la relève des spécialistes du genre (Jean-Loup Bourget, Michel Cieutat, Michel Ciment, Jacqueline Nacache, Yann Tobin, Christian Viviani, entre autres) et à poser un regard neuf sur une période historique et esthétique qui n’a, décidément, pas fini de nous surprendre.
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- LA COMÉDIE HOLLYWOODIENNE CLASSIQUE (1929-1945) – Structure triadique et médiations du désir, écrit par Toufic El-Khoury, disponible depuis juin 2016 aux éditions L’Harmattan, Collection « Champs visuels »
- 242 pages
- 23,33 euros