Livre/ Wes Craven, quelle horreur ? par Emmanuel Lefauvre : critique

Publié par Jacques Demange le 18 novembre 2016

Résumé : Que faire en 1972 quand on débute dans le cinéma à New York, au moment où l’industrie pornographique domine la production locale, et qu’on reste marqué par son éducation puritaine ? Un film d’horreur, littéral et naturaliste, à l’opposé de tout ce qui se fait à Hollywood : La Dernière Maison sur la gauche. Que faire ensuite, quand on décide de travailler pour l’industrie hollywoodienne ? Ce que font parfois les étrangers quand ils veulent s’intégrer : donner des gages, faire profil bas, en attendant qu’une occasion se présente pour réaliser Les Griffes de la nuit ou Scream — des films, ironiques, romantiques, grâce auxquels Wes Craven a pu concilier ses propres exigences avec l’horreur ludique, en vogue à Hollywood dans les années 1980-1990.

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Wes Craven quelle horreur

Wes Craven, quelle horreur ? – couverture

La disparition de Wes Craven en août 2015 a sans doute permis de réévaluer le statut d’un cinéaste trop souvent cantonné au rôle de solide artisan, voire de simple exécutant. Anoblie par la Cinémathèque Française à travers une rétrospective commémorative, son oeuvre profite aujourd’hui d’une série de restaurations fortes intéressantes (le 7 décembre sera éditée la version restaurée 4k de La Colline a des yeux par Carlotta). La publication du court essai d’Emmanuel Lefauvre, critique pour la revue Trafic, apparait comme une étape instructive, révélant certaines facettes mal connues ou peu admises de cette figure incontournable du cinéma américain. Ce qui impressionne chez Craven, c’est moins la longévité de son oeuvre que son apparente continuité. Né en 1939, il appartient à la génération des Carpenter, De Palma, Hooper, Romero et autres Joe Dante qui ont participé à l’émergence de l’âge d’or du cinéma d’horreur. Il signe ses premières productions dans les années 1970 avant de lancer avec Les Griffes de la nuit, l’une des franchises les plus rentables de la décennie 1980. Si Carpenter et Romero perdent progressivement de leur superbe, Craven échappe en partie à la nécessité du film alimentaire pour réapparaître sur le devant de la scène avec la saga des Scream (quatre films entre 1996 et 2011) dont l’immense succès lui permet de réaliser La Musique de mon coeur (1999), My Soul to Take (2010). Seulement voilà, entre la brutalité crue de La Dernière maison sur la gauche (1972) et l’horreur esthétisée des Freddy il y a, malgré la persistance de certaines thématiques, un monde. Ce constat permet à Lefauvre d’asseoir son premier postulat. À partir des concepts d’« horreur réaliste » et d’« horreur ludique », l’auteur cherche à comprendre l’évolution d’une forme propre à un réalisateur en même temps qu’à l’ensemble d’une cinématographie. C’est dire si l’entreprise est belle.

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Freddy - Ghostface

Freddy – Ghostface

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Pour Lefauvre, la sortie d’Halloween (John Carpenter, 1978) marque un point de bascule. Fini l’image granuleuse du 16mm propice aux effets de réel, bienvenue aux compositions raffinées et à la terreur suggestive. L’absence de déterminisme qui faisait la singularité de l’horreur des seventies se voit remplacée par une réflexivité à toute épreuve. Craven y participe sans doute, reconnaît Lefauvre, mais cherche toujours à ancrer sa forme à l’intérieur du réel, un peu à la manière dont les contes discutaient sous les atours du merveilleux de certains phénomènes sociaux de leur époque. Si Scream apparaît d’abord comme une oeuvre de commande, Craven profite de la logique du « whodunit » proposée par le scénario de Kevin Williamson pour interroger l’identité du tueur et, partant, celle de l’individu moyen. Le « rapport de forces instable » formulé par l’auteur à propos de ce dernier film pourrait en fait se généraliser à l’ensemble de sa filmographie. Cette relation ambivalente qui se tisse entre ses productions emblématiques pousse Lefauvre a opter pour la forme comparative et oppositionnelle. Réalité contre divertissement, films d’art et essai de la côte Est contre productions hollywoodiennes.

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La derniere maison sur la gauche

La derniere maison sur la gauche

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L’auteur dresse un savant état des lieux du cinéma d’exploitation, distinguant films gore, roughies et nudies afin de souligner l’essentielle hybridité de La Dernière maison sur la gauche auquel il consacre plusieurs chapitres. Il reste cependant dommage que ces réflexions n’aient pas profité d’un corpus d’exemples élargi, l’auteur reléguant au second plan certains films, se contentant simplement de les mentionner au passage (La Ferme de la terreur, La Colline a des yeux, Le Sous-sol de la peur ou encore L’Amie mortelle). Privilégier la première partie de la filmographie de Craven est un choix méthodologique intéressant mais qui présente le désavantage d’exclure toute vue d’ensemble propre à une étude monographique. La perspective dialectique adoptée par Craven et Lefauvre aboutit logiquement à un retour vers le Romantisme. Le monde des rêves est comme celui des miroirs : à trop se perdre dans le reflet on en oublie le référent. L’auteur signale l’importance de l’ironie comme frontière entre les mondes, entre l’imaginaire romantique et la crudité naturaliste. Lefauvre imagine alors vers quoi aurait pu tendre le cinéma de Craven : un conte d’initiation filmé à la manière d’un documentaire, profitant de la liberté d’action permises par les techniques du numérique. Ce film, ce n’est pas Craven qui l’a tourné suggère Lefauvre, mais M. Night Shyamalan avec le terrifiant The Visit (2015). Une hypothèse intéressante mais qui aurait mérité un plus long développement.

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  • WES CRAVEN, QUELLE HORREUR ? par Emmanuel Lefauvre disponible en librairie le 17 novembre 2016 aux Éditions Capricci, Collection « Actualité critique ».
  • 96 pages
  • 8,95 €

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