Résumé : C’est à travers une analyse poussée de sa filmographie que cet ouvrage montre comment le réalisateur américain Jim Jarmusch éloigne le spectateur du monde, en parvenant à créer une distance qui lui permet de changer son regard. L’auteur met ici en avant les questions politiques sur le travail, la désindustrialisation ou encore l’anomie soulevées par ses films. Plus encore, c’est au-delà du détour esthétique que Jarmusch parvient à s’adresser au monde intime du spectateur, interrogeant sa solitude et sa difficulté à être soi.
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Le cinéma de Jim Jarmusch, on adhère ou non. Chacun de ses films divise le public et la critique, le juste milieu ne semble pas avoir de droit chez lui. Prétentieux pour les uns, génial pour les autres, son cinéma peut paraître bien complexe pour un observateur du lointain. À l’instar de David Lynch, Jarmusch cultive sa singularité, travaille son look, (ré)écrit son histoire, revendique son indépendance artistique à travers la pluridisciplinarité de son approche – réalisateur talentueux, mais aussi fin lettré et musicien. Première réussite de cet essai donc : être parvenu à concilier passion cinéphile et une distance propre à toute entreprise d’analyse. Si Céline Murillo, Maître de conférences à l’Université de Paris 13, qui travaille essentiellement sur le cinéma américain indépendant et underground, revient dans son introduction sur « l’icône Jarmusch », c’est pour mieux s’en départir par la suite. Les films et eux seuls comme indices et traces de la réflexion. Celle-ci repose d’ailleurs sur un joli postulat : l’oeuvre de Jarmusch comme moyen de réapprendre le monde. Il sera donc question de contact, de connexions et de distanciation. La filmographie jarmuschienne défausse les attentes perceptives du spectateur en imposant un écart entre la chose vue et son référent pro-filmique. Un corps dans un film de Jarmusch est une matière qui, ne se donnant pas immédiatement comme tel, suppose une reconnaissance contrariée s’adressant directement aux sens du spectateur. Murillo recense avec minutie ces paradoxes audio-visuelles, photogrammes et références à l’appui. En accord avec l’esprit du cinéaste, la réflexion se développe à travers une scansion image par image, s’attardant sur un élément du décor ou un effet particulier (fondu au noir) pour mieux prolonger la portée de son exposition. Murillo vise l’exhaustivité et y parvient souvent. L’énergie musicale du réalisateur (de l’anarchie punk-rock à l’auto-réflexivité du minimalisme) se retrouve dans le découpage de ses films. Le vocable sémiotique employé par l’auteure peut d’abord inquiéter le lecteur, mais celui-ci prend corps avec les images auxquelles il cherche à donner un sens. À raison, Murillo laisse ses interprétations ouvertes, optant pour la forme interrogative plutôt que pour l’affirmation pérorante. L’étude monographique profite du cas par cas, l’essayiste s’attardant sur un film en particulier pour développer une thématique précise sans jamais oublier de raccorder celle-ci au plus vaste ensemble de l’oeuvre. Le cinéma de Jarmusch s’apparente alors à un monde dont les contours restent toujours ouverts à de nouvelles explorations et sensations. Un monde plus loin, en somme, que cet excellent essai nous convie à découvrir.
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- LE CINÉMA DE JIM JARMUSCH – Un monde plus loin par Céline Murillo disponible aux éditions L’Harmattan, Collection « Champs visuels ».
- 302 pages
- 28 € (papier)
- 20,99 € (numérique)