Synopsis : Marieme vit ses 16 ans comme une succession d’interdits. La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de l’école. Sa rencontre avec trois filles affranchies change tout. Elles dansent, elles se battent, elles parlent fort, elles rient de tout. Marieme devient Vic et entre dans la bande, pour vivre sa jeunesse.
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L’année dernière, Tomboy s’était retrouvé au centre de débats médiatisés et ce, trois ans après sa sortie nationale. La programmation en télévision de ce récit, centré sur une fille qui se fait passer pour un garçon dans le cadre « Ecole et cinéma », avait d’abord inquiété des parents d’élèves avant que le groupe Civitas appelle à l’annulation de sa diffusion sur Arte. Ces polémiques avaient alors un peu éclipsé le propos même de l’œuvre de Céline Sciamma, véritable bol d’air frais dans le cinéma d’auteur français. Sobre et d’une grande justesse, ce drame social confirmait après Naissance des pieuvres le talent de la cinéaste pour la chronique intime sur les émois de l’enfance et de l’adolescence. Avec Bande de filles, elle signe sans aucun doute son œuvre la plus aboutie en élargissant au champ social sa réflexion sur les identités possédant une véritable ampleur romanesque. Le récit, qui suit le quotidien de Marieme sur les années la conduisant de l’adolescence à l’âge adulte, évoque le souffle de LA VIE D’ADÈLE (notre critique). Mais là où le style naturaliste de Kéchiche plongeait le spectateur au cœur des scènes, Sciamma transcende les destins de ses personnages par une mise en scène plus sophistiquée. LA VIE D’ADÈLE laissait une impression d’épuisement physique et émotionnel dont le symbole était la longue séquence d’amour entre l’héroïne et sa compagne. Bande de Filles fonctionne plutôt sur une logique d’apesanteur illustrée par un passage magnifique sur Diamonds de Rihanna.
Marieme et ses copines se réfugient dans une chambre d’hôtel, transformée en mini boîte de nuit par une ambiance lumineuse bleue. Elles semblent d’abord faire un lip-dub sur la chanson, s’imaginant alors dans la peau de la chanteuse. Puis elles reprennent le refrain par-dessus la musique et dès lors leur transe musicale devient un acte d’émancipation personnel bouleversant. Bande de Filles sonde les rêves et aspirations de copines qui veut profiter de leur jeunesse au maximum, le tout accompagné par la musique envoûtante de Para One. Ce drame en devient profondément touchant dans le conflit entre les fantasmes et la réalité quotidienne qui leur fait obstacle. Evitant les clichés du misérabilisme social, Céline Sciamma choisit de dresser le tableau d’une cité où les jeunes filles sont sous la coupe des hommes qui leur dictent leurs comportements, qu’il s’agisse de grands frères devenus chefs de famille ou de dealers. En réponse à cette autorité masculine, Bande de Filles propose une réflexion sur les genres, amorcée dans les précédents longs métrages de la réalisatrice. Outre les gestes de solidarité féminine qui ont la belle simplicité de deux mains qui se tiennent, Céline Sciamma renverse avec finesse les codes masculin/féminin, comme lorsque Marieme demande au garçon qu’elle désire, de se déshabiller avant d’effleurer son corps.
Mais Bande de Filles ne se contente pas de questionner les rôles attribués aux sexes. En nous orientant régulièrement sur des fausses pistes, Céline Sciamma nous invite aussi à regarder au-delà des images. Au sein d’un même plan, une poignée de mains avec un employeur peut se transformer en geste menaçant, à l’instar de cette scène de maquillage qui n’annonce pas une sortie entre filles mais un combat filmé au téléphone portable. Il ne s’agit donc pas seulement de nous apprendre à voir autrement toutes ces bandes de filles bruyantes dans le métro ou aux Halles, mais aussi de confronter le spectateur à son propre jugement parfois trompeur. Si Céline Sciamma met à mal nos préjugés, elle se positionne néanmoins davantage en raconteuse exemplaire qu’en donneuse de leçons. Car au-delà des considérations esthétiques, on vit Bande de Filles aux côtés de cette adolescente. Dénicheuse d’actrices, Céline Sciamma l’a été pour Adèle Haenel et on souhaite à la formidable Karidja Touré la même carrière que son aînée. Assumant des identités diverses dans un mouvement perpétuel, la jeune actrice est crédible et incarne sans doute la plus belle héroïne cinématographique de l’année. Admirable en tous points, Bande de Filles, présenté en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, aurait mérité de figurer en compétition officielle du dernier festival de Cannes. Espérons néanmoins que l’Académie des César saura saluer l’année prochaine ce diamant éblouissant comme il se doit…
Didier Flori
- BANDE DE FILLES écrit et réalisé par Céline Sciamma en salles le 22 octobre 2014
- Avec : Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Mariétou Touré, Idrissa Diabaté, Simina Soumare, Cyril Mendy, Djibril Gueye…
- Production : Bénédicte Couvreur
- Photographie : Crystel Fournier
- Son : Pierre André, Daniel Sobrino
- Montage : Julien Lacheray
- Décors : Thomas Grézaud
- Musique : Para One
- Distribution : Pyramide
- Durée : 1h52
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