Le récit d’un destin. Celui de Suzanne et des siens. Les liens qui les unissent, les retiennent et l’amour qu’elle poursuit jusqu’à tout abandonner derrière elle…
♥♥♥♥♥
Le plaisir de sortir d’une salle encore ému(e), sans avoir le sentiment d’avoir été pris(e) en otage. Car c’est bien l’impression que procure Suzanne, le second long-métrage de Katell Quillévéré qui n’a pas laissé de marbre à la Semaine de la critique au dernier Festival de Cannes, trois ans après la présentation d’Un poison violent à la Quinzaine des Réalisateurs. Pourtant, elle en traverse des épreuves cette Suzanne. Orpheline de mère, elle grandit auprès de Nicolas, son père, et de sa sœur Maria. Les liens qui unissent ces trois êtres sont tellement forts que dans les deux premiers chapitres axés sur l’enfance et l’adolescence, on regarde plus une cellule familiale qu’une anti-héroïne indépendamment de son entourage. Mais le temps passe et, à sa façon, change les choses. Au fil des années et des événements, il malmène cet équilibre fragile que Nicolas essaie autant que possible de maintenir malgré son travail de routier. C’est justement le tour de force de Katell Quillévéré : réussir à raconter 25 ans d’un destin en 1h30 tout en restant crédible dans le traitement de ses personnages. Mieux encore. Malgré la succession de drames et de moments plus heureux, elle parvient à offrir des instants de halte sans pour autant donner trop de répit, puisque le fait de retrouver le trio de tête après des ellipses narratives fort bien amenées permet de garder l’attention sur eux. Qu’a-t-il pu se passer entre temps ? A nous de l’imaginer. Ces ellipses provoquent des chocs mais sur lesquels la cinéaste n’insiste jamais jusqu’à l’excès en dépit des épreuves toujours plus douloureuses.
Suzanne se retrouve enceinte à 17 ans et, en l’espace de quelques séquences, s’enfuit avec Julien (Paul Amy) en laissant Charlie, alors âgé de trois ans, à la charge de sa sœur et de son père. Pourtant, Katell Quillévéré fait fi du portrait de la mère indigne et du caïd. Julien est un délinquant très épris et sa cavale avec la jeune femme reste hors-champ, tout comme leurs méfaits. Même s’il est celui qui évolue le moins à l’écran, il échappe aux clichés du caïd impulsif et lâche. Suzanne abandonne sa famille, et cependant il reste difficile de la juger sans parcimonie. Le lien avec ses proches va se dénouer mais jamais se briser et son absence pesante s’avère vécue par ceux qui restent, et non de son point de vue.
Pourquoi Suzanne, femme-enfant sans âge, agit-elle ainsi alors que Maria, la cadette, semble de prime abord plus courageuse et responsable ? La réalisatrice s’efforce de ne pas expliquer en long et en large, laissant une part de mystère à cette anti-héroïne éponyme, incarnée par une lumineuse et superbe Sarah Forestier, au jeu plus nuancé et retenu qu’à l’accoutumée. Sans effacer les tragédies et les scissions, Katell Quillévéré permet ainsi à chacun de ses personnages d’être nobles et d’assumer leurs rôles – Suzanne y compris – et à ses comédiens de briller jusque dans les scènes d’espoir et de renaissance. Adèle Haenel, vue dans Naissance des Pieuvres de Céline Sciamma et l’Apollonide de Bertrand Bonello, est formidable de naturel dans la peau de Maria, la petite sÅ“ur ‘‘adulte’’ à l’amour inconditionnel, admirable sans être soumise. Voilà clairement une actrice à suivre dans les années à venir. François Damiens, lui, est bouleversant en Nicolas, ce père meurtri sans doute trop possessif et pourtant si digne.
La direction d’acteurs et la force du récit ne sont pas les seuls atouts de Suzanne. Katell Quillévéré a également la délicatesse de passer outre une reconstitution historique trop visible et un processus de vieillissement outrancier – François Damiens est d’ailleurs mieux vieilli que rajeuni. Le temps défile avant tout sur les regards des comédiens, et sur ces détails comme les démarches, les vêtements ou les objets. Dans ce qu’elle appelle ce biopic moderne, la metteure en scène de 33 ans convoque le cinéma de Maurice Pialat – pour sa chronique familiale et son naturalisme – et le mélodrame américain – pour la romance extrême et compliquée de Suzanne et Julien, pas si éloignée de celles de Douglas Sirk. Des références qui n’agressent pas les yeux et ne font pas sortir du film. Les ‘‘signaux’’ d’époque non plus, même si l’on préfèrera entendre la reprise de Suzanne de Leonard Cohen par Nina Simone aux incursions rock beaucoup plus estampillées. En parallèle, la partie sur l’enfance, assez appuyée et clichée – le père au cimetière avec ses filles, le père admiratif au spectacle de danse… – laisse craindre la suite des événements, pourtant tellement plus subtile. Ces petits travers n’empêchent donc pas d’apprécier le travail d’équilibriste auquel s’est attelée Katell Quillévéré, admirable parce que, justement, on n’en prend conscience qu’a posteriori.
 << LIRE NOTRE RENCONTRE AVEC KATELL QUILLÉVÉRÉ AUTOUR DE SUZANNE <<
SUZANNE de Katell Quillévéré en salles le 18 décembre 2013 avec Sarah Forestier, François Damiens, Adèle Haenel et Paul Hamy. Scénario et dialogues : Katell Quillévéré et Mariette Désert. Producteur : Mathieu Verhaeghe. Photo : Tom Harari. Monteur: Thomas Marchand. Conseillère artistique : Virginie Montel. Décors : Anna Falguères. Costumes: Moïra Douguet. Maquillage : Laure Talazac. Coiffure : Milou Sanner. Compositeur : Verity Susman. Distribution : Mars Distribution. Durée : 1h34.
 .