Synopsis : L’ultime combat qu’une faction armée d’élite livre au nom de l’humanité sur les remparts de la muraille la plus célèbre du monde.
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La Grande Muraille est une production américaine tournée en Chine avec à la barre un réalisateur chinois. Ce qui signifie que dans le cadre d’un blockbuster interculturel, la question de l’héritage de l’art devrait être en perpétuelle tension, en perpétuel mouvement. L’intérêt ici se situe donc dans la rencontre entre le cinéma de Zhang Yimou, largement influencé par les arts visuels de son pays (calligraphie, danse), et le scénario à l’écriture occidentale, voire hollywoodienne, d’Edward Zwick (Le dernier samouraï, Jack Reacher 2) et de Tony Gilroy (Michael Clayton, Jason Bourne). Cette intertextualité filmique, sorte de pot-pourri où se mélangent des stars américaines avec des icônes de la pop culture chinoise, est symptomatique du postmodernisme à l’échelle internationale, avec l’ouverture de la Chine sur le monde et l’appropriation du marché chinois par Hollywood. Aux États-Unis, Zhang Yimou est surtout célèbre pour ses Wu Xia Pian (films de chevalerie), comme Hero (2002) et Le Secret des poignards volants (2004), plus que pour ses œuvres politiquement engagées des années 1980 et 1990 (Le Sorgho Rouge, Ju Dou, Épouses et Concubines, Qiu Ju, une femme chinoise, Vivre !). Cependant, La Grande Muraille s’éloigne des récits traditionnels de chevalerie et de leurs réminiscences poétiques (Tigre et Dragon d’Ang Lee) ou réalistes (Les 3 royaumes de John Woo). Mais alors que Zhang Yimou possédait un savoir-faire unique – une exigence stylistique qui trouvait ses sources dans la peinture chinoise –, La Grande Muraille ne tire que très peu parti des qualités formelles de son cinéma. Hormis les costumes saillants des différentes factions de l’armée, sorte de « Power Rangers médiévaux », les couleurs ne construisent plus le symbolisme des séquences. Et il en va de même pour les décors (naturels ou en studio), malheureusement sous-exploités.
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Le terrain d’expérimentation que promettait cette Muraille n’est jamais transcendé. Le film se contente finalement de trois sauts et de deux envols, certes spectaculaires, mais qui ne justifient pas une telle débauche d’énergie et de moyens (techniques et humains). Ainsi, toute la beauté picturale de ses cadrages emblématiques, qui rompait avec la perspective unique occidentale, se trouve ici happée par la machine scénaristique et sa réalité diégétique. La caméra de Zhang Yimou n’est plus libre de ses mouvements. Elle est assujettie à un modèle qui se place en simple illustration du drame. En d’autres termes, le schéma de l’attaque des créatures mythologiques sur la Muraille devient très vite redondante. L’expérience sensorielle est donc décevante car la dimension ludique s’avère non immersive. Il y a un véritable manque d’ambition à ne pas vouloir « bouger » le cadre spatio-temporel via des caractéristiques météorologiques, matérielles, stratégiques… C’est souvent le problème de l’imagerie numérique dans le blockbuster contemporain.
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Le film prend le parti de magnifier ses héros de manière ostentatoire avec des poses de mannequins en tenue de carnaval, et d’exalter leurs prouesses martiales. Mais la gestuelle du héros devrait nous destabiliser, nous emporter dans un monde surnaturel et divin. À partir du moment où le choix d’une « horde numérique », sans identité et sans expression, représente l’antagoniste, la zone d’ombres du héros ne peut provenir de son double maléfique. Le plus décevant ici, c’est que Zhang Yimou a déjà prouvé qu’il était capable de pratiquer ce genre d’expérience formelle à l’image des duels picturaux de Hero. Mais La Grande Muraille thématise l’héroïsme à la sauce psycho-hollywoodienne, notamment avec deux clichés de héros occidentaux. Les mercenaires William Garin (Matt Damon) et Tovar (Pedro Pascal), qui procèdent par désirs pervers (voler le secret de la poudre à canon aux chinois) ou sublimes (prouver qu’il n’est pas lâche, qu’il est un héros solaire). Les figures occidentales de Tovar (réduit à un personnage de sidekick) et de Ballard (Willem Dafoe, sacrifié) sont perfides et cupides. À l’inverse, la figure héroïque chinoise (la générale Lin Mae ou le stratège Wang) est portée par des causes d’intérêts plus générales qui leur donnent une certaine sagesse et une plus grande humanité. Le personnage d’Andy Lau incarne cette figure réflexive du scientifique à l’action presque passive (il veut endormir les monstres). Mais c’est bel et bien la figure de la guerrière qui remporte la mise. Découlant d’une longue tradition du cinéma chinois, la générale est l’égale des hommes, voire les surpasse.
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Mais en tant qu’épopée La Grande Muraille manque globalement de souffle – ce fameux Qi chinois – qui aurait donné une plus grande portée épique à cette légende fantastique. Le cinéma de Zhang Yimou émeut habituellement par la beauté et la variété formelle des lumières, des sons et des couleurs qu’il agence, un cinéma d’essence plastique plus que thématique, contrairement au cinéma hollywoodien. Ce qui laisse entendre que les deux cinémas ne peuvent cohabiter sans que l’un finisse par recouvrir l’autre. L’imaginaire chinois, hérité d’arts visuels à la multiperspectivité, semble souffrir dans un contexte normalisé par les poncifs romanesques hollywoodiens. Le final renvoie d’ailleurs les deux figures héroïques à leur iconographie respective : d’abord américaine, avec ce héros aventureux et solitaire qui s’éloigne au loin tandis que l’héroïne chinoise assume pleinement son pouvoir et sa nouvelle responsabilité qui lui incombe de reconstruire sa civilisation. La romance est impossible. L’association harmonieuse des cultures artistiques également.
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- LA GRANDE MURAILLE (The Great Wall) de Zhang Yimou en salles le 11 janvier 2017.
- Avec : Matt Damon, Willem Dafoe, Andy Lau, Jing Tian, Pedro Pascal, Zhang Hanuy, Lu Han…
- Scénario : Edward Zwick, Marshall Herskovitz, Tony Gilroy
- Production : Thomas Tull, Jon Jashni, Charles Roven, Edward Zwick, Alex Gartner…
- Photographie : Stuart Dryburgh, Zhao Xiaoding
- Montage : Mary Jo Markey, Craig Wood
- Décors : John Myhre
- Costume : Mayes C. Rubeo
- Musique : Ramin Djawadi
- Distribution : Universal Pictures
- Durée : 1h44
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