Synopsis : L’histoire vraie de Percival Harrison Fawcett, un des plus grands explorateurs du XXe siècle. Percy Fawcett est un colonel britannique reconnu et un mari aimant. En 1906, alors qu’il s’apprête à devenir père, la société géographique royale d’Angleterre lui propose de partir en Amazonie afin de cartographier les frontières entre le Brésil et la Bolivie. Sur place, l’homme se prend de passion pour l’exploration et découvre des traces de ce qu’il pense être une cité perdue très ancienne. De retour en Angleterre, Fawcett n’a de cesse de penser à cette mystérieuse civilisation, tiraillé entre son amour pour sa famille et sa soif d’exploration et de gloire…
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Après son mélodrame historique, le sous-estimé The Immigrant (2013), James Gray troque les rives de l’Hudson River pour celle plus tropicale du « Rio Verde ». Loin de sa ville natale, siège de tous ses films (Little Odessa, The Yards, La nuit nous appartient, Two Lovers), Gray réalise ce qui s’avère être son Apocalypse Now. Sur fond de fresque intime, la quête d’une Cité perdue en remplace une autre, celle du colonel Kurtz. L’ombre du cinéma des années 1960 et 1970, de l’Italie aux États-Unis, imprègne intensément le néo-classicisme grayien. Son art de la reprise et de la variation des canons esthétiques classiques n’a aujourd’hui pas d’équivalent à Hollywood. Sa position au sein de l’industrie est à cet effet beaucoup moins viable qu’un Tarantino, Fincher ou Mann. Il ferait presque figure de marginal. The Lost City of Z, adaptation littéraire de David Grann, apparaît ainsi comme une fuite en avant des réalités socio-économiques qui régissent l’industrie (tournage en pellicule et dans des conditions difficiles). C’est un acte de résistance qui déverse une autre sève dans ses entrelacs et ses interstices. Le réalisme promu par Gray, quel que soit le genre convoqué (film d’aventure, film de guerre, drame familial), est d’une nature implacable Ce dernier trouve sa profession de foi dans le souci du détail. Gray reprend un peu près tous les motifs, codes et autres figures génériques, les poussant parfois à une forme de schématisme (l’assaut des tranchées, le dessin utopique coincé dans les fils barbelés). Mais c’est bien la véracité quasi transcendantale du film, portée par une temporalité romanesque se mouvant au rythme de la remontée du fleuve, qui déclenche l’expérience spirituelle et conserve tout le mystère de l’être. Bien que l’on sente Gray loin de ses terrains de prédilection avec cette virée amazonienne, l’idée de se mettre en danger et de sortir de sa zone de confort est déjà une preuve de l’ambition et de la singularité du projet artistique.
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Le revers négatif de ce dépaysement se trouve peut-être dans la représentation de la situation politico-sociale, ici largement appauvrie, ne servant finalement que de toile de fond. Le regard que porte le cinéaste sur la civilisation occidentale passe, non plus par les trajectoires de ses héros, mais par des personnages-relais, plus ou moins lointains : une course entre les États-Unis et l’Angleterre pour la découverte du continent sud-américain, une critique de la bureaucratie bourgeoise et ses relents racistes. L’immersion fictionnelle et sensorielle se substitue, par intermittence, à une lecture réaliste de l’Histoire à l’image de cet intermède « Première Guerre mondiale » qui apparaît presque inutile au regard du reste du film. L’épisode militaire trouve sa place dans le récit uniquement dans son rapport à la mort qu’il instaure, où se profile, non plus l’ombre d’un dieu, mais celle d’une jungle envahissante hantant littéralement l’esprit du héros. Gray donne le sentiment de ne pas assumer pleinement la dimension poétique et fantasmagorique de son récit, d’où cette impression vivace de tiraillement entre son désir d’irréalité et de réel. Un équilibre fragile que la rencontre avec la voyante allemande dans les tranchées vient corroborer.
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Tignasse blonde et yeux bleus, Percy Fawcett (Charlie Hunnam tout en posture hiératique) est l’archétype du héros solaire, libre d’esprit, s’émancipant des vieilles institutions grégaires. Son action procède d’un désir de faire ses preuves pour « laver » son nom, jadis bafoué par un père alcoolique. C’est donc sous l’aspect psychologique que Gray aborde la question du sacré et du spirituel. Idéaliste, Percy forme un étrange duo avec Henry Costin (un Robert Pattinson plus barbu que jamais), les rapprochant parfois d’un Don Quichotte et de son compagnon Sancho Panza, plus lucide et prévoyant que son maître et ami. Le film n’entraîne que rarement Percy sur les terrains de sa rêverie et des fantasmes qu’il projette sur cette cité parée d’or. Elle reste du côté de l’invisible, de l’ombre telle une figure du hors-champ. Chez Gray, c’est souvent par l’apparition d’une lumière (l’éclairage, la scénographie, les mouvements et les angles de caméra), que se manifeste ce fameux point de fuite vers un au-delà. L’incarnation esthétique de la transcendance passe par une stylisation extrême du corps – des gestes à leur voix – qui se plie à l’environnement, à sa mise en lumière, traduisant ainsi une âme, une présence intérieure. Le côté obscur du personnage, sa potentielle folie destructrice et ce désir de flirter avec la mort sont dissimulés sous ses valeurs et postures héroïques.
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Le cinéaste tente de figurer la complexité de l’être et de rendre ses contraires conciliables à travers des images poétiques où vibrent l’humanisme spirituel du héros. Et c’est au cœur de la jungle, au centre de cet inconscient foisonnant et éreintant, que l’âme de Percy finit par s’apaiser. Pourtant, le film n’a fait que mettre en présence ce qui est absent, perdue au plus profond de l’inconscient de Percy. Son héroïsme se manifeste alors par le schéma de l’ascension dans cette jungle via les éléments naturels, à l’image de sa révélation finale, qui s’apparente à un rêve éveillé, et du tout dernier plan du film qui invite sa femme à le rejoindre ; la rêverie devient commune, et semble enfin partagée. Symbolisé une nouvelle fois par le reflet du miroir (déjà présent dans The Immigrant), c’est ici une ouverture à l’altérité, à un hors-temps que le surgissement de la jungle dans le hall vient soudainement libérer. Toute la splendeur du film réside dans ce plan dont l’esthétique baroque de la mise en scène tente de conserver le mystère de l’univers au sein d’une image réaliste de plus en plus ambiguë. C’est l’une des rares visions où se manifeste encore le mystère de la transcendance. Peut-être un brin trop respectueux de ses « maîtres » américains, voire du versant hallucinatoire de Werner Herzog, Gray livre une œuvre alliant des variations subtiles et poétiques avec d’autres, plus conventionnelles et figées.
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The Lost City of Z reste néanmoins un cri du cœur, une fable mystico-écologique que le romanesque propre vient sublimer. La narration a beau être classique, de même que la figuration, le néoclassicisme de Gray se situe moins dans l’exploration d’une nécessité contemporaine que dans sa rupture absolue avec le système postmoderne. Ici pas d’ironie, seulement la manifestation d’une rêverie idéaliste par un symbolisme élémentaire et une mise en scène classique. Mais également une vision cosmologique et anthropologique du monde alliée à une dimension spirituelle prenant sa source dans les rituels archaïques (les indiens) et familiaux (les occidentaux). Avec The Lost City of Z, Gray revendique pleinement le statut d’art du cinéma. Ce film est bel et bien un acte de résistance de l’art cinématographique face à l’industrie du spectacle. Bien qu’il puisse donner l’impression d’un cinéma solennel, anachronique, un brin désuet, il est pourtant par son romantisme exalté, un classique instantané.
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- THE LOST CITY OF Z de James Gray en salles le 15 mars 2017.
- Avec : Charlie Hunnam, Sienna Miller, Robert Pattinson, Tom Holland, Edward Ashley, Angus Macfadyen, Ian McDiarmid…
- Scénario : James Gray d’après l’œuvre de David Grann
- Production : Jeremy Kleiner, James Gray, Dede Gardner, Anthony Katagas, Dale Armin Johnson
- Photographie : Darius Khondji
- Montage : John Axelrad, Lee Haugen
- Décors : Jean-Vincent Puzos
- Costume : Sonia Grande
- Musique : Christopher Spelman
- Distribution : StudioCanal
- Durée : 2h20
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