Résumé : Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, Harun Farocki et Pedro Costa inventent des dispositifs cinématographiques qui profanent le cinéma. En déconstruisant le langage cinématographique, en mettant au jour leur « armature artistique », les films profanes libèrent et transmettent des énergies, des capacités d’imagination et des méthodes de production d’images, de montages, de pensées. Leur fonction n’est pas tant de communiquer un message, de donner une leçon ou de transmettre un savoir au spectateur, que de disséminer les traces de leur travail dans leurs films et d’inviter ainsi le spectateur à les recueillir afin de reconstruire une méthode de production, de fabrication, d’un film.
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En développant le concept de « cinéma(s) profane(s) », Thomas Voltzenlogel, professeur de théorie et dramaturgie à la Haute École des Arts du Rhin, décrit les méthodes, visées et problématiques de mises en scène marquées par une remise en cause constante et généralisée. Les réalisateurs profanes « rendent visibles leur activité tout comme ils rendent visibles et audibles l’existence d’images, de phénomènes, de textes, de sons et d’individus invisibilisés au quotidien ». De fait, la démarche de l’auteur se veut protéiforme, relevant d’une triple perspective, tout à la fois politique, esthétique, et spectatorielle. Au cœur de l’argumentaire, trois cinématographies que le cinéphile prendra plaisir à reconnaître ou à découvrir. Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, Pedro Costa, et Harun Farocki configurent ici une constellation artistique-critique à travers des réalisations empreintes d’une sensibilité incarnée et d’une distanciation affirmée. Avec érudition et parcimonie, Voltzenlogel use de nombreuses références (Brecht, Marx, les philosophes de l’École de Francfort) afin de décrire l’originalité d’une posture commune mais néanmoins singulière et différenciée. Les analyses de séquences et de plans soulignent la qualité d’un geste syncrétique (cinéma, arts de la scène, peinture), incluant le spectateur dans l’agencement de sa manière et l’élaboration de sa réflexion. Au-delà du simple principe d’auto-réflexivité, l’auteur rappelle la qualité éminemment contextuelle et en cela engagée des films étudiés. Le « profane » suppose par ailleurs la possibilité d’une émancipation que l’ouvrage retrouve à travers différentes notions : l’imaginaire (Straub-Huillet), le montage (Farocki), l’affirmation d’un souvenir littéralement édifié en présence (Costa). Tout au long de son étude, Voltzenlogel se déporte de ses principaux objets d’étude pour élargir le champ de ses exemples. Jil Godmilow, Vincent Dieutre, ou Valérie Massadian apparaissent comme les successeurs d’une méthode formelle et dramaturgique particulièrement féconde. S’inspirant de celle-ci, l’auteur n’oublie pas de revenir sur les acquis, les limites et les ouvertures apportés par les cinémas profanes au sein de notre civilisation contemporaines gangrené par l’homogénéisation des images et le désir de neutralité. À la densité du fond répond la grande qualité d’une mise en page riche en illustrations (ce qui mérite d’être souligné, la chose étant rare dans le domaine des publications universitaires). Ces dernières, principalement composées de captures d’écran (noir et blanc et couleurs) amplifient encore le plaisir pris à la lecture de cet ouvrage particulièrement précieux dans le domaine de la théorie cinématographique.
- CINÉMAS PROFANES
- Auteur : Thomas Voltzenlogel
- Éditions : Presses Universitaires de Strasbourg
- Collection : Formes cinématographiques
- Date de parution : mars 2018
- Format : 270 pages
- Tarif : 27 €