Synopsis : À travers une série de discussions et d’entretiens filmés peu avant sa mort, ce documentaire brosse en filigrane le portrait d’Etienne Roda-Gil, immense parolier et inconnu du grand public. En quarante ans de carrière, il a écrit plus de 700 chansons parmi lesquelles Alexandrie, Alexandra ou Joe le Taxi.
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Avec On l’appelait Roda, Charlotte Silvera (Louise l’insoumise, Les Filles, personne s’en méfie) dépeint l’un des plus grands paroliers de la chanson française, posant sur lui un regard émerveillé. Roda-Gil est en effet fascinant dans la sobriété de son mode de vie et qui tranche avec la richesse de sa pensée : son regard aiguisé sur la société nous permet de cerner l’homme visionnaire à travers le parolier. Il est appréciable que de grands artistes tels que Julien Clerc, Vanessa Paradis ou Roger Waters (Pink Floyd), s’effacent durant leurs témoignages au profit de Roda, devenant quasiment ses faire-valoir d’une manière touchante. Le portrait reste pourtant partiel ; à peine évoquées par les chanteurs ou les musiciens qu’il a côtoyé, ses colères et ses brouilles sont, du reste, tues. Loin de ternir l’homme, elles lui auraient rendu justice en rehaussant la richesse caractérielle de Roda-Gil. Trop lissé, il n’apparaît pas dans toute cette complexité que l’on entr’aperçoit ici seulement. La véritable rugosité entourant Roda qui demeure néanmoins, se matérialise dans le formidable travail sur l’image effectué par C. Silvera et ses différents opérateurs. Tandis que les chanteurs et les compositeurs sont filmés, statiques, dans des espaces aux couleurs chaleureuses, éclairés par des projecteurs, Roda, quant à lui, s’offre en partage dans une mise en scène des plus modestes. En effet, l’absence d’éclairages additionnels pour le magnifier et une moindre qualité vidéo lors de ses entretiens, mettent l’accent sur l’homme avec intimisme et suivent ses mouvements. Ainsi, le grain de l’image colle à la voix infiniment rauque de celui qui a écrit pour les autres, tapi dans la demi-pénombre de son antre ou sur le velours terne des banquettes de La Closerie des Lilas. La réalisatrice nous rappelle ainsi qu’aux fastes de la Cour, Etienne Roda-Gil a toujours opposé et revendiqué son ascétisme. Certes, on ne saurait reprocher à Charlotte Silvera de lier ainsi le fond et la forme. Néanmoins, la réalisatrice ne parvient pas à canaliser son truculent personnage et ne s’empare pas pleinement de son documentaire. Heureusement, ce sentiment est habilement compensé par les témoignages très dirigés et maîtrisés de ses anciens collaborateurs et amis. Les différents entretiens avec Roda s’enchaînent, passant d’une idée à une autre, ponctués par des images d’archive – rares plateaux télévisés, cérémonie des victoires de la musique – ou des témoignages d’artistes. Plutôt que de se perdre dans le propos ou les temporalités, c’est une forme d’intemporalité que l’on peut y voir, une liberté de ton et de parole à l’image de Roda-Gil, sa carrière et sa vie durant.
Valentin Ribas
- ON L’APPELAIT RODA
- Sortie salles : 31 octobre 2018
- Réalisation : Charlotte Silvera
- Avec : Etienne Roda-Gil, Charlotte Silvera, Julien Clerc, Vanessa Paradis, Roger Waters, Louis Bertignac, Sophie Marceau, Juliette Gréco, Jean-Claude Petit, Jean-Pierre Bourtayre, Claude François, Mort Shuman, Johnny Halliday
- Production : Florence Muracciole, Bertrand Guerry
- Photographie : Olivier Avellana, David Serfati, Nicolas Fauvel, Joachim de Léon Radu, Antoine Rivière, Sam Evans, Thibaut Ras, Charlotte Silvera
- Montage : Pascal Revelard, Valentine Borland
- Distribution : Zelig Films
- Durée : 1h37