Synopsis : En 2018, les nations ont disparu, remplacées par des cartels économiques planétaires qui regroupent les activités humaines en six départements : l’énergie, le luxe, l’alimentation, le logement, les communications et les transports. Ces corporations dirigent des formations sportives pratiquant le rollerball, sport violent ne permettant pas l’émergence de vedettes individuelles.
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Le sport a souvent été dénoncé comme un outil de domination des masses et figure en bonne place dans les dystopies. Avant Battle Royale et Hunger Games, il y a eu Rollerball. Imaginé dans une nouvelle de William Harrison, parue dans le magazine Esquire en 1973, il s’agit d’une sorte de roller derby ultra-violent. En patins ou à moto dans une arène circulaire et inclinée, les joueurs doivent attraper puis marquer avec une balle lancée à pleine vitesse ; tous les coups sont permis, surtout les mortels. Rollerball aurait pu se contenter de décrire de nouveaux jeux du cirque, mais Norman Jewison a porté son film plus loin. Quand le film sort en 1975, l’Amérique digère encore mal le Watergate et la crise pétrolière. Le rêve américain en a pris un sacré coup, et la période est faste en science-fiction très pessimiste (THX 1138, Orange Mécanique, Soleil Vert…). Pour Jewison, qui a consacré son oeuvre à représenter des individus persécutés par la société (Dans la Chaleur de la Nuit, L’Affaire Thomas Crown), la nouvelle est idéale pour représenter une société corporatiste, bâtie pour écraser l’individu. Dans le rollerball, les joueurs ne sont plus que des pseudonymes. Son héros mondial n’est connu que sous le nom de Jonathan E. (James Caan). Avec une balle en acier lancée à 190 km/h, capable d’arracher la main du joueur, et des règles qui deviennent de plus en plus mortelles à mesure que le championnat avance, le jeu est conçu pour la violence pure. Tout en gros plans, la réalisation de Jewison se concentre sur des joueurs de plus en plus traumatisés et, surtout, sur une foule surexcitée par des ralentis et des actions de plus en plus cruelles. La Rome antique n’est pas loin et comme un pied de nez, Rollerball a été tourné à Munich, là où les tous derniers Jeux Olympiques avaient été frappés par une prise d’otages sanglantes. Les bâtiments futuristes et colossaux de l’Olympiapark et du siège de BMW servent l’ambiance du film. À vrai dire, la production était surtout intéressée par la Rudi-Sedlmayer-Halle, l’un des rares stades circulaires au monde.
James Caan a les épaules (au sens propre) pour jouer un athlète. Il a pris quelques semaines pour apprendre à patiner jusqu’à 65 km/h et effectuer lui-même ses cascades. Mais il joue surtout l’opposé du tempétueux Sonny Corleone du Parrain. Jonathan E. est un joueur mondialement connu, le seul dont les supporters de Houston scandent le nom dans le stade, couvert de récompenses. Devenu très riche, il jouit des mêmes privilèges que les cadres qui se sont partagés la planète. Mais il s’agit d’un homme doublement détruit, par le vIol de sa femme par un dirigeant et par la violence insensée dans laquelle sombre son sport. Homme sensible, il ne peut se résoudre à abandonner ses coéquipiers et tente un combat donquichottesque non pas pour se révolter contre le système, mais tout simplement comprendre.
Le monde de Rollerball est gouverné par les corporations et est entièrement fondé sur la négation de l’individu. Tout est factice, qu’il s’agisse des relations, des réceptions peuplées de robots ou des pilules euphorisantes que chacun réclame. Seules ces drogues, ainsi que l’ultra-violence du rollerball, sont les distractions de ce monde sombre. Ceux qui ne sont pas dirigeants n’ont qu’à obéir aveuglément, la vie humaine et la culture n’ont pas d’importance. Un scientifique prend avec un haussement d’épaules le fait qu’un ordinateur ait perdu toute l’histoire du XIIIè siècle. Même le rollerball s’avère un sport dévoyé par les corporations ; ce jeu d’équipe est censé totalement effacer l’importance de l’individu et est encouragé alors même qu’il est considéré comme immoral. D’où le paradoxe d’une star comme Jonathan E., dont on ne sait même pas s’il a réussi à ébranler le système. Celui-ci est monolithique et inéluctable, comme la Toccata et fugue en ré mineur de Bach, qui ouvre et ferme le film et résume son désespoir.
Comme Kubrick l’avait fait pour 2001 l’Odyssée de l’Espace et Orange Mécanique, la musique classique est celle du futur dystopique (pour le rendre moins daté, explique Jewison dans les commentaires du film). Le film eut un succès limité en salles et fut descendu par la critique, qui échoua à comprendre son message satirique et l’accusa à tort d’esthétiser la violence qu’il dénonçait. Pire, à l’horreur de Jewison, qui pensait avoir dépeint le sport le plus atroce qui soit, la presse sportive s’emballa et des promoteurs tentèrent d’acquérir les droits du jeu pour monter de véritables championnats de rollerball… Le jeu était si réaliste que le casting y jouait même pendant les prises. Le film est aujourd’hui revenu en grâce, après un remake lourdingue en 2002 par John McTiernan qui escamota la critique sociale au profit de l’ultra-violence.
Blu-ray : Cet excellent Master Haute Définition propose les commentaires de Norman Jewison et de James Caan intéressant pour les cinéphiles,une plongée dans les coulisses du tournage Retour dans l’Arène et d’autres bonus riches De Rome à Rollerball : la boucle est bouclée ou encore Les motards : Craig R. Baxley évoque les cascades à moto. Mais pour le néophyte, il faut bien sûr (re)voir Rollerball à la lumière actuelle de l’ultraviolence banalisée, des millions dépensés dans le sport (Coupe du Monde de football, Superbowl) et de l’ultralibéralisme triomphant. Car Rollerball est censé se dérouler… en 2018 !
Arthur de Boutiny
- ROLLERBALL
- Sortie vidéo : 4 décembre 2018
- Nouveau Master Haute Définition
- Format / Produit : Édition Collector Steelbook Blu-Ray Deluxe et DVD – Boitier Steelbook Blu-ray
- Réalisation : Norman Jewison
- Avec : James Caan, John Houseman, Maud Adams, John Beck, Moses Gunn, Ralph Richardson, Pamela Hensley, Barbara Trentham
- Scénario : William Harrison, d’après sa nouvelle “Meurtre au Jeu de Boules” (Roller Ball Murder)
- Production : Norman Jewison
- Photographie : Douglas Slocombe
- Montage : Antony Gibbs
- Décors : John Box
- Costumes : Julie Harris
- Musique : André Prévin
- Édition vidéo : L’Atelier d’Images
- Tarif : 14,99 € (DVD) – 24,99 € (Blu-ray)
- Durée totale : 2h09
- Sortie initiale : 25 juin 1975 (États-Unis) – 12 novembre 1975 (France)