Internet / Judex de Georges Franju : critique

Publié par Jacques Demange le 22 mars 2020

Synopsis : Favraux, un banquier véreux, reçoit un mystérieux message signé Judex lui enjoignant de distribuer ses biens aux pauvres. Il se garde bien d’obéir et commet un nouveau méfait. Mais le jour des fiançailles de sa fille, Jacqueline, à l’heure dite, le justicier Judex met à exécution ses menaces…

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Judex - affiche IMDb

Judex – affiche IMDb

Disponible en ligne et gratuitement sur le site Internet Archive, Judex (1963) réalisé par Georges Franju associe héritage cinéphilique, plaisir d’évasion et sensations visuelles. Il convient d’abord de rappeler l’importance jouée par Franju dans la conservation et la découverte du patrimoine cinématographique. Ami d’Henri Langlois, Franju cofonde avec ce dernier le ciné-club « Le Cercle du cinéma », puis la revue Le CINÉMAtographe qui connaîtra une existence éphémère (deux numéros parus entre mars et mai 1937), avant de participer de façon active à la vie de la Cinémathèque française. Devenu secrétaire exécutif de la Fédération internationale des archives du film (un poste qu’il occupera de 1938 à 1945), le futur réalisateur affirme son goût pour les grands maîtres allemands (Lang, Murnau) et les pionniers du cinéma français. Méliès et Lumière, mais aussi Jasset, Zecca, et bien sûr Feuillade font partie de son panthéon personnel. Il y a chez Franju un amour pour le feuilleton qui ne le quittera jamais. Passé à la réalisation de longs métrages en 1958 avec La Tête contre les murs, le cinéaste a pour ambition de réaliser une adaptation des aventures de Fantômas, le célèbre héros des romans de Pierre Souvestre et Marcel Allain qui connut une transposition au cinéma dès 1913 avec le film éponyme de Feuillade et ses quatre suite réalisées jusqu’en 1914. Au début des années 1960, le projet se précise, le réalisateur a achevé son scénario et la rumeur dit qu’Emmanuelle Riva aurait déjà donné son accord pour interpréter le rôle de Lady Beltham. Pourtant, des problèmes de droits d’auteur obligent Franju à abandonner son adaptation qui sera finalement réalisée par André Hunebelle en 1964 à partir d’un nouveau scénario orienté vers la comédie (Franju reviendra néanmoins à la figure de Fantômas, mais sur le petit écran, en réalisant le documentaire Rendez-vous avec Fantômas diffusé en 1966).

 

Judex

Judex

 

Le projet Fantômas avorté, Franju ne renonce pourtant pas à son désir de raviver l’esprit feuilletonnesque du début du XXe siècle. C’est par l’entremise de Maurice Champreux, gendre de Louis Feuillade et réalisateur (Vendémiaire, L’Homme sans visage, Le Grand Bluff, Judex 34…) que Franju se voit offrir la réalisation de Judex, nouvelle version du célèbre feuilleton cinématographique en 12 épisodes réalisé par Feuillade pour Gaumont en 1917. Champreux propose une première mouture du scénario qui par sa fidélité à l’esprit du film originel convainc le cinéaste.

 

Sorti en 1963, Judex obtient la Coupe Jean George Auriol et entérine la réputation de Franju comme maître du fantastique à la française. Le film entretient en effet certains liens avec le chef-d’œuvre horrifique du cinéaste : Les Yeux sans visage (1960). On retrouve ici et là un goût pour le travestissement et le jeu des apparences, le masque et le faux-semblant. Mais si Les Yeux sans visage faisait de ces thématiques l’objet d’un discours intérieur propice aux interprétations les plus souterraines, Judex affirme une certaine objectivité de surface qu’explicitent les enjeux de sa démarche artistique.

 

Judex

Judex

 

Les fondus au noir, l’ouverture et la fermeture à l’iris ou les intertitres ne doivent pas seulement être envisagées comme les marques d’un hommage appuyé au cinéma des premiers temps, mais comme des motifs formels inscrivant la mise en scène de Franju dans une apparente innocence. Chaque élément se lit et se comprend dans l’immédiateté de son apparition à l’écran. Comme le noir au blanc, la virginale Édith Scob s’oppose frontalement à la vénéneuse, mais ô combien séduisante, Francine Bergé. À l’évidence, Franju prend plaisir à filmer sa vamp revue et corrigée à la sauce sixties. La contre-plongée accompagne le justaucorps pour souligner la taille longiligne de l’actrice qui rappelle la silhouette fuyante du César du Cabinet du docteur Caligari, et dont les yeux couleur charbon se confondent avec la nuit alentour.

 

Le goût pour le symbolique bat son plein. De l’abbaye éclairée par le clair de lune aux douze coups de minuit annonçant l’heure du crime, en passant par les capes noires et les flammes des torches, le cinéaste déploie un univers gothique qui contraste avec les petites routes de la campagne française filmées en plein jour.

 

Judex

Judex

 

Revenir à Feuillade, c’est en définitive retourner à l’illusion première, au spectacle forain, aux tours de magie. Affublé d’une tête d’oiseau, Judex fait sortir de son mouchoir un, deux, trois, quatre pigeons. Mais les vieux trucages se modernisent. Au jeu de transparence déployé par le Judex de Feuillade se substitue un nouvel arsenal d’images empruntant aux innovations de l’ère électronique (la caméra de surveillance, par exemple). La cachette du justicier prend alors la forme d’un panoptique qui n’aurait pas déplu au Diabolique Docteur Mabuse (Fritz Lang, 1960).

 

Première marque d’une distance critique ? Peut-être. Mais si Franju se prête parfois à la désillusion, c’est d’abord sous le couvert d’une licence poétique. Celle de l’absurde et de l’illogisme du nonsense. D’où sans doute les références ponctuelles à l’absurdité lyrique de Lewis Carroll, d’où aussi la présence de l’incongru : Francine Bergé troque son uniforme opaque pour un habit de nonne prophétique (rappelons que quatre ans plus tard, l’actrice interprétera une bonne-sœur dans La Religieuse de Jacques Rivette).

 

Accompagné de la musique envoûtante de Maurice Jarre, Judex s’achève sur une note douce-amère. Sur la plage, Judex profite de l’air marin en compagnie de son amante, une image bucolique qu’accompagne une dédicace manuscrite au film de Feuillade et à cette époque « qui ne fut pas heureuse. 1914 ». Rêverie acidulée, douceur lucide, le film de Franju retrouve la noirceur magnifique des contes. De quoi répondre à l’ennui trop quotidien du moment.

 

 

 

  • JUDEX
  • Disponible en ligne et gratuitement sur le site Internet Archive
  • Réalisation : Georges Franju
  • Avec : Channing Pollock, Michel Vitold, Édith Scob, Jacques Jouanneau, Francine Bergé.
  • Scénario : Jacques Champreux et Francis Lacassin
  • Production : Comptoir Français du Film – Filmes Cinematograpfica
  • Photographie : Marcel Fradetal
  • Montage : Gilbert Natot
  • Décors : Robert Giordani
  • Musique : Maurice Jarre
  • Sortie originale : 4 décembre 1963
  • Durée : 1h38

 

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