Synopsis : Quatre amis décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une rigueur scientifique, chacun relève le défi en espérant tous que leur vie n’en sera que meilleure ! Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle.
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Multirécompensé depuis sa sortie en 2020, avec l’Oscar du meilleur film international, le César du meilleur film étranger ou encore le BAFTA du meilleur film en langue étrangère, Drunk profite de la réouverture des salles de cinéma en France pour s’offrir un second tour de piste. La première singularité du film de Thomas Vinterberg tient à son récit qui marque la quatrième collaboration du cinéaste avec le scénariste Tobias Lindholm après Submarino (2010), La Chasse (2012) et La Communauté (2016). On retrouve le goût du tandem pour la représentation du groupe et de ses relations, entre harmonie apparente et tensions latentes. C’est justement à l’intérieur de celui-ci que s’articule la tonalité si particulière du film. Soudés par une expérience commune (ingérer une dose savamment calculée d’alcool pour recouvrer l’ensemble de ses capacités cérébrales et physiques, théorie scientifique à l’appui), les quatre personnages principaux font d’abord montre d’une solidarité et d’un enthousiasme qui semble légitimer le bon sens de leur thèse. Mais comme souvent chez Vinterberg, cette énergie fédératrice finit par imploser. On se rappelle des retrouvailles familiales de Festen (1998) qui aboutissaient à la révélation d’un traumatisme dont l’horreur était comme amplifiée par l’espace clos du cadre. Dans Drunk, c’est aussi la délimitation de l’espace qui favorise l’impression d’étouffement. Du salon luxueux accueillant les frasques enivrées des protagonistes au vestiaire de sport où la consommation d’alcool prend la forme d’un acte honteux en passant par les bars, intérieurs de voiture et restaurants, Vinterberg multiplie les cadres pour mieux prévenir du basculement dont on pressent bien vite l’avènement.
Oscillant entre le gros plan et le plan moyen, le cinéaste fait voir la lente dégradation de l’affect et du corps. Passant de la maîtrise au dérèglement total de ses facultés, l’anatomie soumise au régime éthylique se disperse dans le champ à travers cris, chutes, vomissements et autres incontinences. D’abord rapporté à une configuration burlesque (parfaitement métaphorisée par le motif récurrent de la danse), ce phénomène offre une représentation littérale de la chute progressive des protagonistes. Car la cohésion du groupe d’amis doit se confronter aux lois d’une communauté élargie : celles de l’institution académique qui réprouve évidemment ces agissements, mais surtout celles de la famille qui doit payer les conséquences de ce projet dont le caractère insolite laisse bientôt sa place au sordide. Les farces et éclats de rire se voient alors remplacés par une tristesse d’autant plus palpable qu’elle contraste avec la bonhomie qui traversait la première partie du film.
Comme souvent chez Vinterberg, le jeu d’acteur joue un rôle fondamental dans la réussite du drame. Figure centrale du film, Mads Mikkelsen met son expressivité discrète au service du récit. La dureté de ses traits contraste avec le pétillement de son regard, tandis que les légères inflexions de sa voix, de ses gestes et des expressions de son visage accompagnent la tonalité douce-amère qui caractérise l’évolution du scénario.
L’intelligence de Vinterberg est de refuser tout discours moraliste. En ce sens, la consommation d’alcool se présente moins comme un acte déclencheur que comme un révélateur. Le spectre de l’alcoolisme se trouvait déjà inscrit dans les gènes de ces parcours de vie dont le caractère chaotique ne pouvait trouver l’apaisement qu’à travers une déconstruction généralisée appelant à une renaissance totale. L’ouverture du film se déroule ainsi dans une ambiance mélancolique et crépusculaire dont la cause principale serait la solitude. Il n’est en ce sens pas anodin que la fin du récit, se concluant sur une note joyeuse et pleine de promesses, se déroule à travers la représentation d’un rite de passage filmé dans une atmosphère solaire. Drunk nous rappelle alors que toute pédagogie doit nécessairement prendre la forme d’un partage de savoirs autant que d’une transmission d’expériences.
- DRUNK
- Ressortie en salle : 19 mai 2021
- Réalisateur : Thomas Vinterberg
- Avec : Mads Mikkelsen, Magnus Millang, Maria Bonnevie, Thomas Bo Larsen, Helene Reingaard Neumann, Lars Ranthe, Susse Wold, Albert Rudbeck Lindhardt, Per Otto Bersang Rasmussen
- Scénario : Thomas Vinterberg et Tobias Lindholm
- Producteurs : Sisse Graum Jorgensen et Kasper Dissing
- Photographie : Sturla Brandth Grovlen
- Montage : Anne Osterud et Janus Billeskov Jansen
- Musique : Janus Billeskov Jansen
- Distribution : Haut et Court
- Durée : 117 minutes