Résumé : The French Dispatch met en scène un recueil d’histoires tirées du dernier numéro d’un magazine américain publié dans une ville française fictive du 20e siècle.
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Le paradoxe de Wes Anderson est que son cinéma nous étonne autant qu’il nous rassure. Découvrir The French Dispatch, c’est d’abord entrer en terrain familier. Excentricité et pittoresque jouent à part égale pour nous transporter dans un lieu fictif (la rédaction d’un journal, le French Dispatch du titre) qui entretient des liens plus ou moins directs avec la réalité (l’univers journalistique décrit par le film rappelle fréquemment celui du New Yorker des années 1960). Anderson continue d’amuser le spectateur en jouant avec une temporalité indéfinie. La sucrerie pop des sixties se mâtine de références à notre contemporain pour mieux assurer la domination du merveilleux sur l’ordonnance du récit. Même principe concernant l’organisation de la mise en scène. Le projet esthétique du cinéaste repose sur un art de la déclinaison qui le voit piocher ses références des deux côtés de l’Atlantique : beauté vaporeuse du cinéma français des années 1930, rythme trépidant du cinéma d’aventure à la sauce hollywoodienne, tandis que le burlesque (de l’élégance de Max Linder aux acrobaties de Harold Lloyd) demeure son principal horizon artistique. Par ce biais, Anderson fait de l’effervescence formelle la conséquence naturelle de la dimension absurde qui imprègne l’enchâssement, indéfini lui aussi, de son scénario. Toujours partisan d’une unité déstructurée, le réalisateur fait de l’épisodique le principal moteur de sa construction narrative. C’est pourtant par la reprise très consciente de ces tropes que Anderson continue de nous surprendre. Car en remontant les fils de ces destins enchâssées, The French Dispatch parvient à nous émouvoir de façon imprévisible. Le rythme soutenu se relâche et la caméra se fixe sur un plan en particulier. C’est alors le visage qui s’impose dans le cadre, valorisant la mélancolie troublante de ces rêveurs impénitents qui hantent depuis toujours le cinéma d’Anderson.
Cet intérêt pour l’acteur n’est pas nouveau mais se renouvelle. Si les habitués répondent bien présents (Owen Wilson, Bill Murray, Adrien Brody, Jason Schwartzman), le réalisateur a nourri son récit choral de nouvelles voix aussi singulières que stimulantes. Lyna Khoudri, Timothée Chalamet, Mathieu Amalric, Frances McDormand, Benicio del Toro, Léa Seydoux, se fondent avec une qualité égale dans le décorum qu’a conçu pour eux Anderson. On comprend alors en quoi l’originalité de son univers tient en partie à sa perméabilité aux talents, nouveaux et confirmés.
En proposant à ses interprètes d’incarner des personnages partagés entre l’humanité et la caricature, le réalisateur laisse le champ libre aux spécificités de leur jeu. Corps emblèmes autant que corps sensibles, les acteurs d’Anderson voient leur présence transfigurée, expérience dont profiteront leur carrière et leurs futurs apparitions dans des univers différents.
Reste encore ce parfum de nostalgie qui émane de The French Dispatch. C’est moins la réalité historique que l’esprit d’une époque que convoque le cinéaste. De la fin des années 1960, Anderson n’oublie pas les luttes politiques mais en retient d’abord la dimension romantique. Le cinéaste fait de ce nouveau voyage temporel un moyen d’effacer le poids des années. De la même manière, mais toujours avec étonnement.
- THE FRENCH DISPATCH
- Sortie salles : 27 octobre 2021
- Réalisation : Wes Anderson
- Avec : Benicio del Toro, Adrien Brody, Tilda Swinton, Léa Seydoux, Frances McDormand, Timothée Chalamet, Lyna Khoudri, Jeffrey Wright, Steve Park, Bill Murray, Owen Wilson, Christoph Waltz, Jason Schwartzman, Mathieu Amalric, Live Schreiber, Elisabeth Moss, Edward Norton, Willem Dafoe, Saoirse Ronan, Damien Bonnard
- Scénario : Wes Anderson, d’après une histoire de Wes Anderson, Roman Coppola, Jason Schwartzman, Hugo Guinness
- Production : Wes Anderson, Jeremy Dawson, Steven M. Rales, Scott Rudin
- Photographie : Robert Yeoman
- Musique : Alexandre Desplat
- Montage : Andrew Weisblum
- Décors : Adam Stockhausen
- Costumes : Milena Canonero
- Distribution : The Walt Disney Company France
- Durée : 103 minutes