Aftersun de Charlotte Wells : critique

Publié par CineChronicle le 3 février 2023

Synopsis : Avec mélancolie, Sophie se remémore les vacances d’été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, parfois leurs désaccords. Elle repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants si précieux : la sourde et invisible menace d’un bonheur finissant. Elle tente alors de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l’obsède depuis tant d’années : qui était réellement cet homme qu’elle a le sentiment de ne pas connaître ?

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Aftersun - affiche

Aftersun – affiche

Le bruit familier du magnétoscope, d’une cassette que l’on rembobine, une séquence au hasard d’un film de famille et un reflet dans l’écran. Ainsi s’ouvre Aftersun, premier long-métrage de la réalisatrice écossaise Charlotte Wells. Dans la lignée de son court-métrage Tuesday, paru en 2015, la réalisatrice explore une fois encore la relation père-fille, les thèmes de l’absence, du non-dit et du deuil. Seulement, là où l’adolescente de Tuesday errait, au gré de rituels quotidiens, dans l’appartement désert du parent disparu, Aftersun s’évertue à reconstituer le souvenir du proche absent. Ce reflet dans l’écran, c’est celui de Sophie, protagoniste presque inavouée du film qui nous la montre plus volontiers enfant, dix ans auparavant, en compagnie de son père Calum, à l’occasion de vacances en Turquie – les derniers instants que tous deux partageront. Construction imagée du souvenir, le film consiste en une suite de scènes mêlant les archives numériques de la caméra de Sophie aux souvenirs subjectifs de l’adulte qu’elle est devenue. Cette collection d’instants remémorés, imprécis et parfois anodins, aboutit à un long-métrage aussi étrangement rythmé que les sursauts de la mémoire. L’intérêt de chaque plan pose question, de même que l’exactitude du souvenir. En creux des images, deux films s’esquissent. Le premier est un coming-of-age movie dans les règles de l’art, au fil duquel la jeune Sophie, au sortir de l’enfance mais pas encore femme, découvre les jeux de séduction des adolescents de l’hôtel, l’homosexualité de certains, et échange son premier baiser. En outre, consciente des difficultés financières, professionnelles et affectives de son père, elle se trouve indirectement confrontée aux problématiques de la vie d’adulte. Le second film, celui qui s’impose peu à peu, raconte la quête impossible d’une figure paternelle disparue.

 

Aftersun de Charlotte Wells

Aftersun de Charlotte Wells – Crédit photo Sarah Makharine

 

Alors même que Calum ne fait plus partie de la vie de Sophie adulte, il demeure sur-présent à l’écran, via les images vidéo qui le mettent en scène. Figure abstraite, effacée par le temps, Calum n’est presque jamais présenté nettement et frontalement. Sur la vidéo, il apparaît décadré, fuyant, pixellisé. Dans les souvenirs de Sophie, il se résume à un reflet dans le téléviseur, sur la surface de la table, ou à une silhouette lointaine qui s’évapore au détour d’un fondu enchaîné.

 

Le film de Charlotte Wells n’a de cesse de chercher des façons de filmer, des propositions de cadrage qui intriguent et taraudent. Certaines de ces fantaisies frôlent la gratuité : des angles de prises de vue parfois alambiqués, la figuration récurrente et peu subtile des flashs mentaux. D’autres de ces extravagances, heureusement, se révèlent riches de sens et participent pleinement au discours du film, à commencer par l’effacement progressif de Calum. Alors qu’au restaurant l’homme fait le pitre pour amuser sa fille, plutôt que de nous montrer les grimaces de Calum, le plan se fige sur le Polaroïd supposé immortaliser cette soirée – et qui demeurera de facto la dernière image du père. Chaque scène où Calum apparaît seul tient quant à elle du fantasme, comme si Sophie, dix ans plus tard, tentait de s’expliquer et de rationaliser sa disparition.

 

Par-delà l’aspect nostalgique du film d’été, le sentiment de déjà-vu convoqué par la piscine, la plage ou les jeux d’arcade, et le jaillissement régulier d’un tube aussi connu que la Macarena, Aftersun entretient une tension constante et l’impression malsaine que quelque chose s’effondre. C’est la fin de l’été, dans un complexe hôtelier dépeuplé. La plage est déserte, les allées vides et la rentrée des classes menace : la belle saison se meurt. Agonie renforcée par une mise en scène magistrale de la latence, soutenue par une bande-son hypnotique. 

 

Aftersun de Charlotte Wells

Aftersun de Charlotte Wells – Credit photo Sarah Makharine

 

Les personnages s’ennuient, le spectateur aussi parfois. Et pourtant, lui non plus ne souhaite pas que les vacances se terminent, ni que le film prenne fin. Tandis que leur mélancolie souligne une incapacité à profiter de l’instant, à croquer la vie, un péril invisible jette son ombre morbide sur le duo père-fille. Dans l’attente naît la tension. Dès l’instant où Calum insiste pour que sa fille apprenne à se défendre en cas d’agression, on redoute que ses craintes se confirment.

 

Quant au montage paranoïaque des souvenirs de Sophie, il nous laisse entrevoir une possible tragédie chaque fois que le plan isole son père. S’entaillera-t-il le bras en découpant son plâtre ? Se noiera-t-il en pratiquant la plongée sans licence ? Sautera-t-il du rebord du balcon ? Sera-t-il écrasé par l’autobus qui surgit au coin de l’écran ou se noiera-t-il par nuit dans le remous des vagues ? Non. Nous demeurons comme sa fille, sans réponse précise, dans l’incompréhension, démêlant nos fantasmes pour échafauder l’explication la plus satisfaisante – ou simplement la moins frustrante.

 

Ne restera de Calum que ce film de vacances, cette photo instantanée et un tapis (objet associé au plaisir corporel, au réconfort). Autant de reliques transmises à Sophie : héritage de non-dits et de bonheurs manqués. Restera également l’interprétation de Paul Mescal, sensible dans sa retenue, inoubliable tant pour Sophie que pour les spectateurs.

 

Aésane Geeraert

 

 

 

  • AFTERSUN
  • Sortie salles : 1er février 2023
  • Réalisation et Scénario : Charlotte Wells
  • Avec : Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall, Sally Messham, Spike Fearn, Ethan Smith, Ruby Thompson, Etahn James Smith, Onur Eksioglu, Kayleigh Coleman, Kieran Burton, Sarah Makharine…
  • Production : Adele Romanski, Amy Jackson, Barry jenkins, Mark Ceryak
  • Photographie : Gregory Oke
  • Montage : Blair McClendon
  • Décors : Billur Turan
  • Costumes : Frank Gallacher
  • Musique : Oliver Coates
  • Distribution : Charades
  • Durée : 1 h 42

 

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