Synopsis : L’auteur solitaire Elly Conway écrit des romans d’espionnage à succès sur un agent secret nommé Argylle qui a pour mission de démanteler un syndicat mondial d’espionnage. Cependant, lorsque les intrigues de ses livres commencent à refléter les actions secrètes d’une véritable organisation d’espionnage, la frontière entre fiction et réalité commence à s’estomper.
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L’adaptation de Kingsman : Services secrets, tiré des comics, semble avoir agi sur Matthew Vaughn comme une véritable révélation. Depuis 2015 et la sortie du film mêlant habilement comédie, espionnage et film d’action, le réalisateur britannique n’a jamais quitté ce registre, changeant simplement le dosage des ingrédients. Kingsman : Le Cercle d’Or insistait ainsi davantage sur la comédie d’espionnage sixties, quand The King’s Man : Première Mission ajoutait un peu de film de guerre à la recette. Le projet Argylle sonnait donc comme la continuation logique de l’œuvre de Vaughn, poussant toujours plus loin la réinvention du cinéma d’espionnage, en y ajoutant une ambitieuse mise en abîme. Mais sous ses dehors de pastiche méta, Argylle s’avère finalement être un film d’espionnage plus classique qu’attendu. Des espions en cavale, des agents doubles, une agence gouvernementale corrompue, les ingrédients ne seraient pas aussi disparates dans les opus de James Bond. Même le fait qu’une partie de l’intrigue repose sur une autrice d’espionnage un peu trop clairvoyante ne change finalement pas la nature profonde du récit et n’est qu’un élément narratif parmi tant d’autres. Le film semble un temps jouer la carte du décalage entre fantasme de fiction et monde réel, notamment dans une scène de combat ferroviaire où l’espion aussi parfait qu’imaginaire, joué par Henry Cavill, se substitue régulièrement à l’agent moins glamour qu’incarne Sam Rockwell. Mais ce dernier abandonne bien vite son look d’anti James Bond aux cheveux sales et s’avère être un héros d’action blagueur assez conventionnel, même si le talent comique de Rockwell le rend instantanément attachant.
Ce constat s’étend d’ailleurs au reste des seconds rôles, puisqu’à l’exception de l’héroïne, Vaughn semble avoir tenté de compenser certaines faiblesses d’écriture via ses choix de casting. Si la brochette de stars est particulièrement impressionnante, force est de constater que la plupart d’entre eux n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent et doivent composer avec des rôles quelque peu sous écrits. Bien sûr, on ressent toujours un plaisir certain à voir des acteurs de la trempe de Samuel L. Jackson, Ariana DeBose ou Bryan Cranston à l’écran, mais même leur charisme ne parvient pas totalement à combler la frustration du scénario qui ne prend jamais la peine de les développer.Â
Si ce traitement scénaristique est frustrant, on peut hélas en dire tout autant des scènes d’action. L’absence de Bradley James Allan, ancien élève de Jackie Chan et génial coordinateur des cascades de Vaughn depuis Kick-ass, prématurément décédé en 2021, se fait sentir. Sans être foncièrement mauvaises, les séquences d’action tentent de dupliquer les chorégraphies de ses précédents films, sans jamais arriver à retrouver leur inventivité. Le Britannique reste un réalisateur doué, et les moments de bravoure d’Argylle s’élèvent sans peine au dessus du cinéma d’action actuel, mais il donne ici l’impression de s’être borné à simplement reproduire son style, plutôt que d’expérimenter de nouvelles choses. Il faut attendre le climax pour enfin retrouver un peu de folie et de créativité, grâce au jeu sur les explosions de couleur ou à la chorégraphie de combat s’inspirant du patinage artistique.
Mais si Argylle s’avère décevant du point de vue de l’action, il se rattrape ailleurs. Sous ses dehors de blockbuster popcorn décomplexé, le film est un portrait de personnage assez touchant, doublé d’une réflexion sur le rapport entre un conteur et sa création. Un thème que le cinéaste avait déjà effleuré. La fiction servait de source d’émancipation aux héros de Kick-ass, qui puisaient dans les comics de super-héros, un besoin de servir une cause plus grande qu’eux. Argylle s’inscrit lui aussi dans cette thématique, mais en la poussant plus loin. Si le réalisateur n’est pas crédité en tant que scénariste, pour la première fois de sa carrière depuis son premier film, Layer Cake, impossible de ne pas reconnaître certaines de ses thématiques dans le résultat final.Â
Le personnage d’Elly Conway, autrice obsessionnelle et stressée, génialement incarnée par Bryce Dallas Howard, apparaît ainsi comme une sorte de double de Matthew Vaughn à l’écran. À travers elle, il développe un constat étonnamment émouvant où l’auteur donne vie à ses personnages autant que ces derniers le font vivre. L’agent Argylle devient ici le pilier d’Elly, l’élément auquel elle se raccroche dès que les évènements deviennent difficiles à surmonter. Vaughn et Fuchs montrent la création artistique comme une part essentielle de la condition humaine. Argylle est une extension de la personnalité d’Elly et une manière pour elle de devenir ce à quoi elle aspire, tout comme ces personnages de film peuvent eux-mêmes être des reflets de leurs créateurs.
Vaughn détourne ainsi le projet de blockbuster popcorn, pour en faire une vraie réflexion sur son art et son rôle de conteur. Un deuxième opus étant déjà en projet, il ne reste plus au cinéaste qu’à conjuguer ces thématiques et son inventivité visuelle pour livrer une nouvelle œuvre passionnante.
Timothée GiretÂ
- ARGYLLE
- Diffusion : 31 janvier 2024
- Réalisation : Matthew Vaughn
- Avec : Henry Cavill, Bryce Dallas Howard, Sam Rockwell, Bryan Cranston, Catherine O’Hara, Ariana DeBose, Sofia Boutella, John Cena, Samuel L. Jackson…
- Scénario : Jason Fuchs
- Production :Â Matthew Vaughn, Adam Bohling, Jason Fuchs, David Reid
- Photographie :Â George Richmond
- Montage :Â Lee Smith
- Décors : Dan Taylor
- Costumes : Stephanie Collie
- Musique : Lorne Balfe
- Distribution : Universal Pictures France
- Durée : 2 h 20