Steve Butler, représentant d’un grand groupe énergétique, se rend avec Sue Thomason dans une petite ville du Kentucky. Les deux collègues sont convaincus qu’à cause de la crise économique qui sévit, les habitants ne pourront pas refuser leur lucrative proposition de forer leurs terres pour exploiter les ressources énergétiques qu’elles renferment. Ce qui s’annonçait comme un jeu d’enfant va pourtant se compliquer lorsqu’un enseignant respecté critique le projet, et qu’un activiste écologiste affronte Steve aussi bien sur le plan professionnel que personnel.
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Nul mieux que Gus Van Sant n’a su tirer partie du capital sympathie que dégage Matt Damon. Il y a près de 15 ans, Will Hunting fut la première collaboration des deux artistes et lança la carrière du comédien. En 2013, Promised Land s’inscrit logiquement à la suite de Will Hunting et Gerry (2002) – si l’on excepte un rôle secondaire dans A la rencontre de Forrester (2001) – via ce mélange de crise identitaire et de choix influencés par le passé. Ici, ce ne sont pas l’orientation professionnelle et un amour naissant, ni le désert californien, mais le destin d’une commune agricole qui sera l’occasion d’une révélation pour le protagoniste de l’histoire ici développée, et imaginée avec l’écrivain américain Dave Eggers. Steve Butler, responsable dans une grosse compagnie énergétique, Global Crosspower Solutions, se voit offrir de nouvelles responsabilités qui doivent le conduire à New York. Avant, il doit se rendre dans une zone rurale du Kentucky avec sa collègue Sue Thomason afin de persuader les habitants de leur allouer les droits de forage de leurs terres pour le compte de l’entreprise, qui pèse 9 milliards de dollars. Très vite, il se trouve confronté à une opposition déterminée en les personnes d’un vieil enseignant spécialisé et d’un jeune militant écologiste. Pour autant, le film est loin de se résumer à un David contre Goliath, ni même à une banale histoire de rédemption. Heureusement en un sens, parce que le suspense sur l’un et l’autre de ces deux enjeux dramatiques est réduit comme peau de chagrin.
Dès la scène d’introduction, durant laquelle Damon/Butler dîne avec ses futurs employeurs new-yorkais, l’évocation de ses origines modestes et agricoles – son grand-père tenait une ferme – ne laisse guère d’illusions quant au changement d’attitude et de camp qui sera le sien. Et c’est justement à travers son protagoniste que le film dévoile les défauts de ses qualités. Comme suscité, Gus Van Sant sait tirer profit de l’aura de sympathie de son acteur et de son personnage central, dans lequel Matt Damon aura sans aucun doute apporté sa propre sensibilité en écrivant le scénario avec son partenaire John Krasinski. Dans Will Hunting, Damon et son pote Ben Affleck, oscarisés pour leur beau script, avaient de même su rendre leurs personnages incroyablement attachants, mais la personnalité trouble du héros éponyme laissait une marge de doute sur ses décisions. Dans le cas présent, le Steve Butler de Damon touche autant qu’il échoue à fasciner, la faute n’étant pas à rejeter sur l’interprète, juste et sobre dans l’émotion comme à l’accoutumée. Déterminé mais pas vraiment impitoyable à l’extrême dans sa mission – il reste convaincu que les habitants accepteront d’être payés s’ils votent pour le forage en raison de la crise – Butler ne surprend pas lorsqu’il retourne sa veste et s’allie aux petites gens en orphelin des terres locales.
La force de Promised Land ne se trouve de ce fait pas tant dans ce héros moderne et ordinaire que dans ce curieux jeu de miroir qu’il noue avec sa collègue Sue Thomason – la toujours excellente Frances McDormand – et son opposant, le jeune écolo Dustin Noble, formidablement campé par John Krasinski. Sue semble plus intègre que son camarade, plus apte à comprendre les sentiments des familles rencontrées, mais son « ce n’est qu’un boulot » contraste avec sa position et son détachement vis-à -vis de sa relation naissante avec l’épicier du village. Plutôt amusants, les échanges entre Damon/Butler et Krasinski/Noble prennent une tournure assez singulière dans la dernière demi-heure, insufflant un mélange d’ironie et de malaise assez bienvenu. Curieusement pas si alerte que cela sur les agissements de la grosse industrie, le film prend alors une direction plus engagée grâce à deux twists qui, s’ils se succèdent trop vite, peuvent donner cours à plusieurs interprétations. Même le combat de coq – a priori assez sage et insipide – que se livrent Butler et Noble pour séduire Alice la belle fille du coin (Rosemarie DeWitt) prend un autre sens. En somme, le long-métrage a plus d’intérêt dans ces dualités que dans le duel socio-économique avec la crise actuelle en arrière-fond. La mise en scène de Gus van Sant, très (trop ?) appliquée, se scinde également en deux comme pour donner un visage au sujet traité. Les plongées sur ces espaces agricoles au cœur des discordes et des ambitions laisseront place à des plans larges et autres contre-plongées où le ciel devient un personnage à part entière. Tant mieux, parce que peu de cinéastes savent filmer le ciel comme Gus Van Sant. Ce choix de réalisation peut sembler quelconque, mais apporte une valeur ajoutée à cette terre promise. Sujette aux profits pour les uns, riche d’une dimension sentimentale et spirituelle pour les autres, elle impose des questions telles que « peut-on abandonner le territoire familial même pour un chèque qui permettra de payer les études des enfants ? ». Parfois, les réponses se lisent dans les nuages.
PROMISED LAND de Gus Van Sant en salles le 17 avril 2013 avec Matt Damon, Frances McDormand, John Krasinski, Rosemarie DeWitt, Hal Holbrook, Titus Welliver. Scénario : John Krasinski, Matt Damon. Producteurs : John Krasinski, Matt Damon, Chris Moore. Producteurs exécutifs : Gus Van Sant, Ron Schmidt, Jeff Skoll, Jonathan King. Coproducteurs : Mike Sablone, Drew Vinton. Productrice associée : Isabel Freer. Image : Linus Sandgren, FSF. Musique : Danny Elfman. Décors : Daniel B. Clancy. Montage : Billy Rich. Costumes : Juliette Polcsa. Distribution : Mars Distribution. Durée : 1h46.
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