Synopsis : Adam, un professeur divorcé, mène une vie tranquille avec sa fiancée Mary. Il découvre son double parfait en la personne d’Anthony, un acteur qui habite avec son ex-femme, près de chez lui. Adam commence à observer son double, avec l’intention de maintenir une certaine distance, mais très vite la vie des deux couples s’entremêle, au point de les précipiter dans une lutte à l’issue tragique, dans laquelle seul l’un des deux couples survivra…
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Largement inspiré du roman The Double de José Saramago, Enemy conte l’histoire d’Adam Bell un professeur universitaire d’histoire introverti, à la vie morne et trouble, incarné par Jake Gyllenhaall. Ses journées s’alternent et se répètent entre scènes de cours et scènes de baise avec sa copine Mary, campée par une Mélanie Laurent très discrète. Tout bascule le jour où il visionne un film et y découvre l’existence de son double parfait, Anthony St. Claire, un acteur de second rôle. Naturellement obsédé par cette troublante découverte, il tente de rentrer en contact avec cet homme, mais cet acte va l’entrainer dans un cercle infernal qui va causer la perte de l’un d’eux. Avec Enemy, Denis Villeneuve continue d’étoffer son répertoire des genres auxquels il s’attèle avec succès, après le drame poignant et impressionnant Incendies et le remarquable thriller PRISONERS (notre critique) dans lequel figure également Jake Gyllenhaal. Enemy, qui ne dispose pas encore de date de sortie en France, mais que nous avons pu voir puisqu’il a été présenté dans plusieurs festivals comme Sundance, Toronto ou encore le BIFFF, est de cette même veine avec une réalisation précise et millimétrée. Les actions et les personnages sont exposés et scrutés grâce à un montage très aéré. Laborieux de prime abord, en raison d’une introduction assez molle, ce parti pris se révèle être finalement une des qualités majeures de la réussite du film. Ces intentions de mises en scènes révèlent avec conviction la perte de repères d’un homme dépassé par une situation qu’il a lui-même instaurée. Si les deux personnages portés par un Jake Gyllenhaal, énigmatique et décidemment convaincant, ne forment qu’une seule et même entité, ce qui semble rapidement logique, Villeneuve utilise différents ressorts qui accentuent le trouble dans la perception du spectateur. De l’appel téléphonique au face à face de ces deux personnages, en passant par les réactions de leurs femmes respectives incrédules devant la découverte de ce double, tout est mis en place dans l’optique de brouiller les pistes de ce récit schizophrénique.
Avec beaucoup de justesse, Villeneuve choisit de livrer quelques indices qui viennent malicieusement remettre en doute l’ordre de la logique établie. En s’appuyant sur des répliques anodines dissimulant des sous-textes (confusions entre les professions de deux hommes notamment dans les propos de la mère, interprétée par Isabella Rossellini), Enemy vogue constamment entre le thriller classique et le conte psychologique, à la limite du fantastique, dans lequel un homme est en proie à ses propres démons. Plusieurs scènes oniriques lui confèrent de surcroît une force inattendue, qui colle parfaitement au mécanisme développé par Villeneuve, dont une scène semblant directement inspirée d’Eyes Wide Shut de Kubrick. Elle apparaît comme un subterfuge du cinéaste, qui adopte un trompe-l’œil pour forcer les traits d’une voie singulière. Ce procédé permet ainsi à l’œuvre de rebondir hors d’un cadre volontairement vaste et indéterminé, à l’instar de ce plan final énigmatique et inattendu. Idem pour la rencontre entre Adam Bell et Helen (mystérieuse Sarah Gadon, brillante dans A DANGEROUS METHOD – notre critique et Cosmopolis), qui le dévisage bouche bée sous une lumière éblouissante. A la fois angélique et fantastique, l’expression figée d’Helen pousse à un autre niveau de lecture, celle de l’impossibilité de cerner la véritable nature d’Adam/Anthony.
Sans recycler les codes proprement lynchéens, Villeneuve adopte différentes approches qui confèrent à son métrage une dimension irréelle permanente. Enemy est un bel objet filmique, atmosphérique, curieux et marquant, qui ne cherche ni à satisfaire ni à être compris. Villeneuve cherche avant tout à développer sa propre perception dans un récit peut-être formaté, mais dont les rouages sont redéfinis via sa mise en scène. En cherchant à perdre son spectateur dans un flux d’informations dispensées via de nombreux détails et dans des séquences périphériques aux allures hallucinatoires, Villeneuve torture son personnage, sans jamais chercher à justifier la nature de ses maux. Il laisse libre cours à notre interprétation et à notre imagination, sans jamais proposer de solutions, ni d’échappatoires. Le doute est permanent. Ainsi l’ennemi dont il est question ne représente dès lors plus tant le double personnage interprété par Gyllenhaal que Villeneuve lui-même affichant son désir de déstabiliser son public. Un exercice de style qui témoigne de la maîtrise et de la singularité dont il fait preuve depuis son premier long métrage.
- ENEMY de Denis Villeneuve prochainement en salles le 27 août 2014.
- Casting : Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Isabella Rossellini, Sarah Gadon.
- Scénario : Javier Gullón d’après le roman The Double de José Saramago
- Production : M.A. Faura et Niv Fichman
- Photographie : Nicolas Bolduc
- Montage : Matthew Hannam
- Musique : Danny Bensi et Saunder Jurriaans
- Direction Artistique : Patrice Vermette
- Décors : Sean Breaugh
- Costumes : Renée April
- Distribution : Version Originale / Condor
- Durée : 1h30
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