Synopsis : Jeune musicien rêvant d’être une rock star, Jon croise le chemin d’un groupe de pop avant-gardiste à la recherche d’un nouveau clavier. Il devient vite le protégé de Frank, leur leader, aussi fascinant que mystérieux : ce génie musical vit dissimulé en permanence sous une grande tête en papier mâché. Entre phases de doute et éclats de créativité, rapports fusionnels et crises de confiance, l’enregistrement du premier album du groupe et les concerts les conduiront dans une véritable aventure humaine de l’Irlande jusqu’au Texas !
♥♥♥♥♥
Les œuvres qui sortent des sentiers battus sont toujours un plaisir rare de fin gourmet et en particulier lorsqu’il s’agit du genre musical. « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » disait Paul Eluard. Et c’est le cas avec Frank de l’Irlandais Lenny Abrahamson, présenté aux derniers festivals de Sundance et de Dinard où nous avions pu le découvrir. Réalisateur des audacieux Adam and Paul et Garage, il a choisi ici Domhnall Gleeson (fils de Brendan) pour incarner Jon, un jeune pseudo-compositeur claviériste. Par un étrange concours de circonstances, ce dernier va se retrouver intégré à un groupe de pop expérimentale, baptisé Soronprfbs, mené par Frank (Michael Fassbender), leader excentrique coiffé d’une tête géante, inspiré du personnage de Frank Sidebottom crée par le musicien Chris Sievey dans les années 80. L’arrivée de Jon dans ce groupe pas comme les autres, va bouleverser l’harmonie au sein des musiciens. Dès l’ouverture, on bascule véritablement dans une ambiance hétéroclite, étayée par un flottement musical aux gammes électroniques faisant naître une poésie mélancolique au cours des 90 minutes. La mise en scène soignée est à l’image de ses protagonistes. A la fois concentrée pendant les répétitions, volatile lors des scènes extérieures, et libérée à travers cette ambition de créer la ‘musique parfaite’. Cette comédie dramatique va ainsi traiter des relations entre les musiciens, avec Frank et Jon en tête.
En s’intéressant au processus créatif, qui s’apparente ici davantage à un art de vivre, Lenny Abrahamson s’interroge sur le sens du renouveau dans une industrie où les principes de rentabilité et de talent relèvent d’un combat arbitré par la subjectivité d’un public. Celui-ci étant amené à ressentir les choses au son d’une composition. Le personnage de Frank incarne à merveille cette obsession de vouloir créer l’émotion, mais plus encore, de toucher un large public. Le caractère bizarre du leader, caché derrière une grosse tête en carton, dévoile ce désir refoulé de célébrité en se présentant au monde derrière un masque. Le problème de l’identité est ainsi au cœur du récit s’exprimant au travers de cet individu dont on ignore l’existence sous son déguisement, de la musique du groupe qui cause nombre de tensions selon la vision de chaque membre, et de Jon avec son ambition dévorante. Cet ensemble renvoie ainsi à la notion de notoriété, cette envie d’exister qui anime chacun d’entre eux à des niveaux radicalement différents. Car quand certains aspirent à faire naître l’émotion, d’autres visent seulement la gloire. Mais outre cette profondeur dramatique et grave, Frank est une comédie décalée aux dialogues jubilatoires, notamment grâce à tous ces personnages psychotiques et extravagants, qui poussent l’absurde et détonnent radicalement. Le pouvoir comique danse dangereusement avec son potentiel empathique et prend tout son sens musicalement. La bande originale regorge de merveilles avec des morceaux inspirés comme Tuft ou encore le génial I Love you All.
Narrativement, Frank se réfère à un processus de rituel initiatique et de découverte par le prisme de Jon, dont la voix off cadence le rythme forcené de la création artistique du groupe. La structure du récit se divise en trois actes dont la dernière partie légitime à elle seule le film, tant elle excelle par son efficacité et son dénouement magistralement rhétorique. Et le casting renforce tout ce procédé à travers les performances déjantées de Maggie Gyllenhaal, parfaite en joueuse de theremerin possessive, de Scoot Mcnairy, hilarant en manager dépassé, et de Domhnall Gleeson qui poursuit une carrière prometteuse. Car après la saga Harry Potter et Il était temps, ce dernier prouve ici qu’il est capable de tenir des notes graves de sa composition, avant qu’on le découvre l’année prochaine dans UNBROKEN d’Angelina Jolie et STAR WARS VII de JJ Abrams. Mais la surprise de taille émane bien sûr de Michael Fassbender. Peu habitué au registre de la comédie, la star germano-irlandaise donne au personnage-titre un véritable charisme vocal et ne joue de son physique que pour exprimer sa désarticulation mentale, oscillant avec talent entre le drame et l’insolite. Frank est donc un bel ovni filmique, une réflexion extravagante et originale sur la création musicale et la solitude humaine, qui étincelle grâce à cette brochette d’acteurs possédés et à son inventivité rare, quelque part entre The Commitments d’Alan Parker et un clip rutilant de Michel Gondry…
- FRANK de Leonard Abrahamson en salles le 4 Février 2015.
- Avec : Michael Fassbender, Domhnall Gleeson, Maggie Gyllenhaal, Scoot McNairy, Carla Azar, François Civil, Travis Hammer, Bruce McIntosh, Tess Harper
- Scénario : Jon Ronson, Peter Straughan
- Producteurs: David Barron, Ed Guiney, Stevie Lee, Andrew Lowe
- Photographie: James Mather
- Compositeur: Stephen Rennicks
- Montage: Nathan Nugent
- Décors : Richard Bullock
- Costumes : Suzie Harman
- Distribution: KMBO
- Durée: 1h35
.