La French de Cédric Jimenez: critique

Publié par Guillaume Ménard le 4 décembre 2014

Synopsis : Marseille. 1975. Pierre Michel, jeune magistrat venu de Metz avec femme et enfants, est nommé juge du grand banditisme. Il décide de s’attaquer à la French Connection, organisation mafieuse qui exporte l’héroïne dans le monde entier. N’écoutant aucune mise en garde, le juge Michel part seul en croisade contre Gaëtan Zampa, figure emblématique du milieu et parrain intouchable. Mais il va rapidement comprendre que, pour obtenir des résultats, il doit changer ses méthodes.

 

♥♥♥♥♥

 

La French - affiche

La French – affiche

Depuis le diptyque sur Mesrine de Jean-François Richet, et l’initiative en partie réussie d’Olivier Marchal pour Les Lyonnais, on n’avait pas assisté à l’adaptation d’une histoire du grand banditisme aussi audacieuse et fouillée en France. En cette fin d’année, c’est Cédric Jimenez qui s’empare du sujet avec La French, titre renvoyant à la French Connection qui a sévi à Marseille dans les années 70. Le réalisateur d’Aux yeux de tous a su s’entourer d’acteurs en vogue avec le duo Dujardin/Lellouche, mais aussi Benoît Magimel ou encore Céline Sallette. L’action débute dans le sud de la France en 1975 où l’on nous présente Pierre Michel (Jean Dujardin), juge des mineurs qui assiste, impuissant, aux ravages de l’héroïne chez les jeunes. Le procureur le charge alors du grand banditisme afin d’enrayer le trafic entre la cité phocéenne et les Etats-Unis. Une lutte à mort va donc s’engager entre le juge Michel et Gaëtan dit « Tany » Zampa (Gilles Lellouche), figure criminelle de Marseille. L’introduction est très claire, ce drame policier est basé librement sur des faits réels et ne prétend pas faire la lumière sur les zones d’ombres historiques. Dès les premières minutes, on assiste à un assassinat. La caméra est fluide, embarquée sur différents axes pour ainsi marquer efficacement en fil rouge la thématique de la filature.

 

Jean Dujardin dans La French de Cédric Jimenez

Jean Dujardin dans La French de Cédric Jimenez

 

La suite se place sur un rythme augmentant graduellement. Le réalisateur fait de Pierre Michel, le personnage principal, s’attardant sur son passé en tant que juge des mineurs pour accentuer son implication indéfectible dans son combat. Son caractère incorruptible est confirmé par ses prises de risques, comme dans les nombreuses scènes où il intervient sur le terrain, en coopération avec des unités de Police qu’il contrôle. On s’intéresse aussi à l’intimité de l’homme, marié et père de famille, qui trouve un écho chez le personnage de Zampa, dans la même situation. L’évolution de ce duel interposé prend souvent la forme d’ellipses et de morceaux clipés, où les arrestations et les filatures se succèdent. La mise en scène emprunte également beaucoup au style des années 70, avec des fondus enchaînés, comme celui sur une cuillère remplie d’héroïne qui rappelle en fond la menace et le but premier des opérations. Visuellement, La French remplit son contrat haut la main, avec un Marseille de l’époque parfaitement retranscrit, des vêtements typiques de la bande à Zappa jusqu’aux tapisseries de la maison du juge. L’image est désaturée, dépouillée de la puissance réaliste du numérique pour mieux donner cette impression de document jauni où les contrastes explosent uniquement dans les scènes de nuit, comme pour celles de la discothèque ‘Le Krypton’.

 

 

Gilles Lellouche dans La French de Cédric Jimenez

Gilles Lellouche dans La French de Cédric Jimenez

 

La prise de position de Jimenez est intelligible jusque dans ses plans rapprochés, réservés quasi exclusivement au Juge Michel pour ainsi mieux cerner à la fois le doute, la frustration et la détermination. Son agressivité s’inscrit dans un parallélisme avec Zampa, qui soulève la question de l’éthique dans sa lutte contre la corruption. Disséminés tout au long du récit, les extraits télévisés de l’époque, de Gaston Defferre à Mitterrand, viennent appuyer le contexte et ancrent l’action dans la narration. D’ailleurs les scènes d’action, si peu nombreuses soient-elles, valent vraiment le coup d’œil et marquent l’esprit par leur réalisme et leur sobriété. Car nul effet de grandeur exacerbée dans La French, les dialogues priment sur le tape-à-l’œil où les mots deviennent des armes. On retrouve avec plaisir l’argot de l’époque inhérent à la virilité des protagonistes. Ces échanges verbaux rappellent Claude Sautet mais aussi Yves Boisset via ce parti pris des personnages. Cependant, si Jimenez confirme que le cinéma français est capable du meilleur, le film n’innove pas en matière de sous-textes avec des enjeux déjà-vus. C’est sa portée historique qui le sauve de son propos, en adaptant une histoire réelle sans artifices où la neutralité est plus éloquente que ses héros. La musique atmosphérique a aussi une place essentielle. Souvent diégétique – en lien avec la boîte de nuit -, elle apporte une fraîcheur qui confère à l’intrigue, un dynamisme et une nostalgie sonore, notamment avec Call Me de Blondie ou encore Bang Bang de Sheila. Outre l’action, son utilisation produit un effet plus fataliste à l’image pour un final parfait avec le morceau This Bitter Earth de Dinah Washington et Max Richter.

 

Cyril Lecomte, Guillaume Gouix et Jean Dujardin dans La French de Cédric Jimenez

Cyril Lecomte, Guillaume Gouix et Jean Dujardin dans La French de Cédric Jimenez

 

Mais la surprise de La French réside surtout dans la capacité de Dujardin et Lellouche, trop souvent cantonnés au registre de la comédie, à appliquer leur rôle avec une maîtrise étonnante. Le point d’orgue de leur duel émane de l’unique séquence tournée ensemble, qui n’est pas sans rappeler la confrontation de Pacino et De Niro dans Heat. Les mauvais souvenirs de Contre-Enquête et de Gibraltar s’estompent dès lors définitivement car Dujardin est redoutable de ténacité et Lellouche trouve une crédibilité et une classe indéniable, inhérente aux dialogues tenus en italien qui garnissent ce polar. Pour le reste du casting, si Mélanie Doutey peine à convaincre en femme de Zampa, Céline Sallette confirme l’importance de la justesse dans un rôle secondaire et Magimel, trop rare, convainc dans celui du « fou ». Ainsi, Jimenez propose une relecture passionnante du combat du juge Michel, entre la sobriété d’un biopic et le film de gangsters qui évoque de manière subliminale le cinéma de Scorsese. C’est donc l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire judiciaire du XXème siècle qui se révèle à l’écran pendant 2h15, si ce n’est l’un des meilleurs drames policiers de ces dix dernières années, traité à travers l’œillet français. Retranscrivant avec fidélité un conte contemporain implacable, où le profit et la morale s’affrontent sous une pluie musicale désenchantée, ce cousin de French Connection de William Friedkin redonne au cinéma populaire tricolore ses lettres de noblesse.

 

 

  • LA FRENCH de Cedric Jimenez en salles le 3 Décembre 2014.
  • Avec : Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Céline Sallette, Mélanie Doutey, Benoît Magimel,  Guillaume Gouix, Bruno Todeschini, Moussa Maaskri…
  • Scénario : Audrey Diwan, Cédric Jimenez
  • Production : Alain Goldman
  • Photographie : Laurent Tangy
  • Montage : Sophie Reine
  • Décors : Jean-Philippe Moreaux
  • Costumes : Carine Sarfati
  • Musique: Guillaume Roussel
  • Distribution : Gaumont
  • Durée : 2h15

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