Big Eyes de Tim Burton: critique

Publié par Arnold Petit le 28 février 2015

Synopsis : Années 50 à San Francisco. La timide illustratrice Margaret Keane devient la victime des manigances de son mari Walter. Fin commercial et escroc notoire, ce dernier va vendre en son nom les peintures de son épouse, se rendant ainsi coupable de l’une des plus importantes arnaques de l’histoire de l’Art. Dépassée par le succès populaire de ses « Big Eyes », des magnifiques tableaux avant-gardistes lui appartenant, Margaret tombe peu à peu dans l’inaction. Elle décide finalement d’intenter un procès à Walter.

 

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Big Eyes de Tim Burton - affiche

Big Eyes de Tim Burton – affiche

Trois ans après le sincère et touchant FRANKENWEENIE (notre critique), Tim Burton nous revient avec une œuvre à nulle autre pareille dans sa filmographie : un biopic consacré à une icône de l’illustration américaine. Si l’histoire vraie des époux Keane nous est pour ainsi dire inconnue en Europe, elle a été un célèbre fait divers aux Etats-Unis, un quasi précédent dans l’histoire de l’Art dit populaire. Les fameux Big Eyes éponymes étaient en effet des toiles renommées, au succès commercial retentissant dans les années 50-60. Les grands yeux tristes des étranges enfants peints par Margaret Keane furent d’ailleurs l’antithèse absolue des goûts révolutionnaires de l’époque en terme de peinture. Ovni parmi les toiles, l’œuvre de l’illustratrice – frauduleusement signée et vendue sous le nom de son époux Walter Keane – n’a pas manqué de faire les gorges chaudes de la critique élitiste. Un travail subversif qui a marqué le réalisateur-star de Burbank, ainsi que les scénaristes Scott Alexander et Larry Karaszewski. Ces derniers n’en sont pas à leur coup d’essai dans le biopic, encore moins avec Tim Burton. En 1994, le trio œuvra à la création du merveilleux Ed Wood, plus gros échec commercial du cinéaste, mais paradoxalement son film le plus personnel et abouti. La critique, il la connaît bien. Il en est la cible privilégiée depuis quelques années. Entre ses détracteurs et ses admirateurs, son univers florissant, déjanté et volontiers sombre divise un public de plus en plus nostalgique de ses premières œuvres.

 

Big Eyes de Tim Burton

Big Eyes de Tim Burton

 

Big Eyes s’annonçait donc comme un coup de frais non négligeable dans la carrière de ce cinéaste – talentueux s’il en est – à qui on reproche très souvent de ne plus prendre de risque et de s’enfermer dans un schéma préconstruit. Ce projet de commande est clairement la réponse pour faire taire les mauvaises langues. Car pour son dix-septième long métrage, il signe ici son premier récit qui peut se targuer de la mention « basé sur des faits réels », aux antipodes de son visuel habituel et de sa marque de fabrique qui lui a tant valu d’être fustigé. Assumant la palette du rétro-réalisme, Burton met en scène des personnages plausibles dans un univers sans grande fantaisie, si ce n’est celle de la très prosaïque San Francisco des années 50. En ce sens, Big Eyes respecte à merveille les canons et le style de l’époque. La déco, les couleurs et les costumes restent à l’image du travail méticuleux de Rick Heinrichs (décorateur fidèle de Burton), Colleen Atwood (costumière oscarisée pour Alice au Pays des Merveilles) et Bruno Delbonnel (directeur de la photographie sur Dark Shadows). Si cet illustrateur de génie avant d’être un réalisateur-star a toujours su s’entourer pour donner vie à une vision graphique, les redondances de casting, dont il a fait preuves ces dernières années, ont nourri l’ironie de bien des critiques acerbes. Mais Burton fait ici table rase de ses usages et s’offre une distribution brillante composée d’acteurs et d’actrices qu’il n’avait jamais dirigés auparavant.

 

Big Eyes de Tim Burton

Big Eyes de Tim Burton

 

Exit donc son ex-compagne Helena Bonham Carter et son précieux Johnny Depp. Bonjour Christoph Waltz et Amy Adams. Cette dernière interprète une Margaret Keane touchante, fragile et influençable, parfaite osmose entre une Janet Leigh hitchcockienne et une Shirley MacLaine des jeunes années. Amy Adams, nommée aux Golden Globes, se fond dans son personnage de mère célibataire, s’enlaidissant comme peu de belles actrices savent le faire. Une brillante interprétation contrebalancée par celle de Christoph Waltz, toujours efficace mais un peu trop cabotin et impersonnel. Malgré le profond sérieux de Big Eyes, l’humour acerbe, verbal et un brin guignolesque coutumier chez Burton s’incarne très bien dans l’odieux Walter Keane, faiseur d’art éhonté et principal moteur du récit. Ce duo magique est entouré de fiers seconds couteaux : la très belle Krysten Ritter, l’attachant Danny Huston ou encore Jason Schwartzman. Bien que très drôle, ce dernier manque cependant de présence à l’écran, tout comme le vétéran Terence Stamp, pourtant hilarant dans un rôle authentique de critique d’Art intransigeant.

 

Christoph Waltz et Amy Adams dans Big Eyes de Tim Burton

Christoph Waltz et Amy Adams dans Big Eyes de Tim Burton

 

Si Big Eyes est mené tambour battant grâce à ses interprètes et à sa direction artistique discrète mais néanmoins sans faille, on peut lui reprocher d’être trop linéaire. Le problème ne vient pas tant du scénario que dans sa prévisibilité. Cet écueil est un souci récurrent dans bien des biopics, mais il eut été moins gênant si l’ensemble n’avait pas été trop sage. Un comble pour Burton. Car force est de constater qu’en dehors du prisme inhérent à son univers, il ne prend pas grands risques dans son sujet. De même, il s’épargne de nombreux moments de gloire dont il a pourtant le secret. On retient notamment cette scène assez dérangeante durant laquelle Margaret Keane se rend au supermarché après des heures d’enfermement et se voit entourée de clients ayant les mêmes grands yeux déformés que les enfants de ses peintures. Le genre de saynète qui n’aurait pas juré dans Pee-Wee’s Big Adventure ou Beetlejuice. Certes, la trame de Big Eyes ne permet pas qu’on y insert des éléments trop fantasques, apanages du réalisateur. Une réappropriation devenue probablement trop délicate du fait de l’implication de Margaret Keane elle-même sur le projet. Âgée de plus de 80 ans, l’illustratrice apparaît également en caméo durant l’une des premières séquences. De même, le compositeur Danny Elfman ne donne pas dans l’originalité de sa partition et effectue un travail de principe sans grande conviction, allant même jusqu’à partager le score avec la chanteuse Lana Del Rey.

 

Krysten Ritter, Christoph Waltz et Amy Adams dans Big Eyes de Tim Burton

Krysten Ritter, Christoph Waltz et Amy Adams dans Big Eyes de Tim Burton

 

Si dans la forme Big Eyes laisse bon nombre de spectateurs dubitatifs, il reste une mine d’or pour tout fin connaisseur de la filmographie et du caractère de Burton. Véritable satire du monde de l’Art et de la propriété intellectuelle, cette œuvre pourrait être sous son apparente simplicité son exutoire, déversant ses velléités contre des gros bonnets trop enclins à s’accaparer son nom et son travail. Pas sûr que les Weinstein soient du même avis compte tenu de leur faible investissement de dix millions de dollars sur un film que le seul nom de Tim Burton devrait pouvoir rentabiliser. Les fans les plus intransigeants vont donc certainement se retrouver dans un jeu de marelle, à ne plus savoir sur quel pied danser, tant il passe de trop à pas assez. Big Eyes reste cependant un biopic fidèle, doublé d’une amusante critique, bien interprétée et fabriquée. Cette fable réaliste prouve qu’il peut se montrer hors de ses sentiers battus. C’est propre – un peu trop – mais à plusieurs degrés de lecture, le traitement fonctionne assez bien. Burton est aussi surprenant dans son minimalisme que son minimalisme surprend. Délicat à analyser donc, comme le sont bien des films intéressants.

 

 

 

  • BIG EYES réalisé par Tim Burton en salles le 18 Mars 2015.
  • Avec : Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston, Krysten Ritter, Jon Polito, Jason Schwartzman et Terence Stamp…
  • Scénario : Scott Alexander et Larry Karaszewski.
  • Production : Lynette Howell, Scott Alexander, Karaszewski, Tim Burton, Bob et Harvey Weinstein.
  • Photographie : Bruno Delbonnel
  • Montage : JC Bond
  • Décors : Rick Heinrichs
  • Costumes : Colleen Atwood
  • Musique : Danny Elfman
  • Distribution : StudioCanal
  • Durée : 1h45

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