Synopsis : Carol Hammond, fille d’un célèbre avocat, est la victime d’hallucinations étranges où elle imagine des orgies sexuelles sous LSD organisées par sa voisine, la belle Julia Durer, une actrice à la vie sulfureuse et débridée. A la mort de cette dernière dans des conditions mystérieuses, Carol voit son monde s’écrouler et les mains de la police se refermer sur elle. Arrivera-t-elle à contenir sa folie et ses désirs sexuels insatisfaits ?
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En 1971, le cinéaste italien Lucio Fulci signe l’un des mètre-étalon du giallo avec Le Venin de la peur. Onirique, poétique, sensuel, cruel, oppressant, kafkaïen, les mots ne manquent pas pour qualifier ce qui apparaît pour beaucoup comme étant LE chef-d’œuvre de Lucio Fulci. On reste sans voix devant la beauté de la mise en scène de ce thriller stylisé et psychanalytique, photographié avec virtuosité par le chef opérateur Luigi Kuveiller (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon). Le réalisateur considérait d’ailleurs lui-même Le Venin de la peur comme représentatif de son âge d’or. Cette référence du genre, coproduit entre l’Italie, la France et l’Espagne, dresse le portrait d’une meurtrière. Seulement Fulci s’amuse ici à jouer avec l’intellect du spectateur en rendant friable les frontières entre le rêve et la réalité. La supposée meurtrière, Carol, est incarnée par la glaciale et énigmatique Florinda Bolkan. Une bourgeoise vivant avec son mari (Jean Sorel), qui la trompe depuis deux ans, dans un grand appartement luxueux et aseptisé au cœur de Londres. Elle est accusée d’avoir assassiné sa voisine (Anita Strindberg), adepte des orgies et des soirées où la drogue s’éparpille et les hippies se succèdent sans discontinuer. Rêve ou réalité ? Carol semble attirée par ce qui lui apparaît pourtant comme le vice et la dégradation.
Grand admirateur de Jacques Tourneur et de Roger Corman, Lucio Fulci réalise ici un puzzle d’images, de sensations et de symboles, le tout bercé par la composition parfois expérimentale du Maestro Ennio Morricone. La scène du rêve où Anita Strindberg et Florinda Bolkan s’enlacent a marqué plus d’un spectateur. Avec une folle liberté artistique et créatrice, le cinéaste ne se gêne pas pour déjouer les attentes du spectateur, souvent conditionné à un mode de narration classique. Il le manipule lui faisant suivre l’intrigue policière de manière linéaire alors que cette femme joue les schizophrènes. Ce ne sont alors plus les personnages qui apparaissent comme des pantins articulés dans les mains du réalisateur, mais bel et bien le public, mené par le bout du nez par le personnage principal, à l’instar du psychiatre auquel Carole raconte ses rêves. L’art et la manière de construire un parfait alibi. Durant de longues années, la critique a mis en concurrence le travail de Lucio Fulci avec celui de Dario Argento. Pourtant, si le premier devait être rattaché à un « courant cinématographique » ce serait celui unique de Federico Fellini, lui aussi grand expert ès rêves, qu’il reconstituait sur les plateaux mythiques de Cinecittà.
Le Venin de la peur est une œuvre cérébrale, une étude sur la culpabilité, le déni, la frustration sexuelle, les désirs refoulés. On pense également à Répulsion de Roman Polanski, dont le personnage interprété par Catherine Deneuve s’appelait également Carol. Les quelques scènes ‘gores’ encore palpitantes du meurtre et des (faux) chiens transpercés au cœur, valant à Lucio Fulci d’être poursuivi par la SPA pour cruauté envers les animaux, font partie de quelques fulgurances. Mais Le Venin de la peur n’est certainement pas à cataloguer en tant que ‘film d’horreur’. Le sang est lié à la sexualité bouleversée du personnage principal, prête à faire voler en éclat sa condition sociale qui l’enferme et la bride. Tourné en 48 jours et en dépit de quelques controverses, Le Venin de la peur est un succès international à sa sortie. Il faudra attendre 1976 pour qu’il sorte en France sous le titre Carole, les Salopes vont en Enfer. Depuis, Le Venin de la peur est devenu un film culte, comptant des millions de fans dans le monde entier. Riche, complexe, passionnant, inépuisable.