À l’occasion de la sortie en salles le 21 octobre 2015 de Mon Roi de Maïwenn, CineChronicle a rencontré la cinéaste pour évoquer son quatrième long métrage, fort et intense, à travers les étapes de sa conception.
CineChronicle : Mon Roi suit la trajectoire d’une femme dans un centre de rééducation qui se remémore peu à peu la passion amoureuse qu’elle a vécue et qui l’a profondément abimée. Comment vous est venue cette envie de construire ce drame romantique par le biais du flashback ?
Maïwenn : Mon Roi aurait dû être mon premier long métrage. J’ai écrit une première version du scénario voici dix ans. Mais, à l’époque, je ne me sentais pas assez mûre pour le mettre en scène. Je me disais que les films d’amour, comme les films de guerre, devaient être réalisés par des cinéastes ayant une expérience de la vie plus importante que la mienne à l’époque. Et puis, il y a deux ans, je me suis dit que les années passaient, les films aussi et je me sentais plus forte. Cependant, il me manquait encore un élément narratif pour me permettre d’apporter un regard plus extérieur à cette romance. En lisant une phrase concernant le genou, j’ai senti que cela pouvait résonner parfaitement avec une histoire d’amour déchirante. J’ai eu l’idée alors de cette femme qui chercherait à se reconstruire physiquement et moralement, après s’être déchirée les ligaments du genou dans un accident de ski. Le déchirement des ligaments ne se répare jamais, contrairement à une jambe cassée ; il s’agit donc de réapprendre à marcher malgré cette déchirure incurable. J’y ai vu une belle métaphore pour l’histoire de cette femme ressortie brisée d’une passion amoureuse, dont elle doit se relever pour continuer à avancer. J’ai compris qu’il me manquait cet aspect dramatique pour apporter un enjeu fort dans le scénario. Je voulais que mon personnage soit contrainte de s’en souvenir afin d’ajouter de la tendresse à cette histoire sans la rendre trop amère.
CC: Comment procédez-vous avec vos comédiens pour qu’ils apportent cette vérité et ce naturalisme fort dans leur jeu ?
M: Je ne leur impose jamais de débiter leur texte au mot près. Je préfère qu’ils laissent libre cours à leurs sentiments. Et si j’obtiens le meilleur d’eux mêmes, c’est peut-être parce que je leur offre un rôle précis et un sujet qui fait écho à leur propre vie et résonne très fort en eux, les rendant de fait, très justes. C’est le cas de Vincent. Il m’a avoué avoir accepté de jouer le personnage de Georgio pour des raisons personnelles. Pour lui, c’était le bon film au bon moment.
CC: On éprouve de l’attachement pour Georgio, tour à tour séduisant, attachant, dangereux et par moments méprisable. Comment avez-vous appréhendé ce personnage ?
M : Les personnes les plus dangereuses sont également les plus séduisantes. C’est à elles d’ailleurs que l’on a envie de donner notre corps, notre cœur et notre âme. Georgio fait tout pour avoir Tony et dès qu’il l’a, il ne prend pas soin d’elle. C’est ce qui caractérise les séducteurs. Je laisse ensuite les portes ouvertes à l’interprétation. Il a effectivement un comportement qui se rapproche de la perversion narcissique et en même temps, au fond de lui, c’est encore un enfant. Il n’a pas vraiment grandi. Mais à la fin, Tony comprend que cet homme est sa plus grande histoire. Elle ne ressent pas d’amertume, mais plutôt de la tendresse envers lui. Elle est heureuse d’avoir vécu cette passion. Sans ressentiment. Selon moi, le but de l’amour est de réussir à dépasser la rancœur et de se dire qu’on a vécu de beaux moments sans possibilités d’aller plus loin, et qu’il est temps d’en vivre de nouvelles.
CC : Fut-ce pour vous complexe de filmer le quotidien d’un couple, dont les scènes d’amour?
M: Les scènes romantiques me faisaient effectivement très peur. C’est d’ailleurs ce qui m’a longuement fait hésiter avant de me lancer dans l’écriture du scénario. Je me sentais totalement capable d’aborder les conflits et les détresses de ce couple, mais toutes ces approches comme la rencontre, le mariage, la demande d’enfants et la découverte de la grossesse, m’ont angoissées réellement. J’ai trouvé certaines situations, certes classiques, que je m’acharnais à rendre authentiques sur le plateau, comme la scène où Georgio demande à Tony de lui faire un enfant. Vous n’imaginez pas combien de prises ont été nécessaires. C’est très arbitraire de sentir la vérité et l’authenticité dans la voix d’un acteur. Pour moi, la vérité, c’est de la musique. J’étais toujours très près, de la caméra, de mes techniciens et de mes acteurs, mais je portais continuellement un casque sur les oreilles. J’ai besoin d’un son parfait pour ressentir la vérité des émotions. Même les films que je découvre chez moi, je les regarde avec un casque.
CC : Du point de vue de la texture visuelle, Mon Roi représente votre plus beau film. D’où vient cette volonté de donner à vos images cette couleur et même parfois cette poésie moins présente que dans vos précédentes œuvres ?
M : Je suis devenue beaucoup plus exigeante que je ne l’étais à mes débuts. Pour mes trois premiers films, je dois vous avouer que je n’avais pas vraiment d’idées sur la direction artistique, les décors, le maquillage et les cadres. Ma seule obsession était les acteurs. En les revoyant parfois à la télévision, je me dis que sur le prochain projet, je travaillerai davantage certains aspects. Pour Mon Roi, j’ai passé tous les domaines au peigne fin, sans délaisser le travail avec les acteurs. Je me suis juste mis davantage de pression. Le choix des décors a particulièrement été très long. J’ai eu de nombreux conflits avec mon équipe, sur les décors, les coiffures, les maquillages, et même avec les cameramen et le directeur de la photographie. Le plateau a souvent été tendu. Pourtant, c’est la même équipe avec laquelle je travaille depuis mes débuts. Je pense qu’ils ne m’ont pas trop reconnue sur ce film car je leur faisais davantage confiance à l’époque. Je n’ai rien laissé passer ici car je savais exactement ce que je voulais.
CC : Mon Roi est également plus lyrique. Souhaitiez-vous aussi accorder une place plus importante à la musique ?
M: Je souhaitais concevoir des séquences vraiment romantiques sans être mièvres. Or, la frontière entre les deux est très mince. Certaines séquences nécessitaient un peu de musique mais pas trop, ou un peu d’humour mais pas trop. Tout était une question de bon dosage. Mais je voulais avant tout que le film baigne dans un grand romantisme, d’où ce travail sur la beauté des cadres et le soin accordé à la lumière, à l’esthétique et, bien sûr, à la musique que j’imaginais comme une sorte d’envolée. La référence que j’ai transmise à mon compositeur était La Ligne Rouge de Terrence Malick, le roi du lyrisme !
CC: Compte tenu du nombre de prises que vous dites avoir faites pour certaines scènes, le montage a dû être particulièrement long et fastidieux ?
M: Vous n’en avez pas idée ! Je n’ai jamais autant galéré sur un montage. Il a duré pratiquement un an. J’ai d’abord eu une première équipe de monteurs, avec laquelle je n’avais jamais travaillé. On a fini par s’avouer mutuellement que cela ne fonctionnait pas. On ne se comprenait pas du tout. J’ai donc cherché une autre équipe avec laquelle tout s’est très bien passé. Nous avons tout recommencé. Le double challenge était alors d’éviter que le film soit trop manichéen et que l’on éprouve trop d’empathie pour Tony. Idem pour Georgio mais c’était secondaire car c’est de son point de vue à elle que l’histoire est racontée. J’ai justement supprimé des séquences dans lesquelles il était présent, cela rendait le récit trop confus. On ne comprenait pas lequel faisait du mal à l’autre. Nous devions absolument resserrer l’intrigue sur elle.
CC: La version prévue en salles sera-t-elle justement la même que celle présentée au Festival de Cannes ?
M : Non, j’ai coupé cinq minutes, car durant cette période j’avais terminé le montage six jours avant de le présenter à Cannes. J’étais fatiguée et je ne dormais plus. Il me manquait clairement du recul. En le revoyant plus tard, je me suis dit qu’il était nécessaire de légèrement modifier certains passages, mais cela reste le même film.
CC : Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec le cinéma, que ce soit dans votre façon d’en faire ou d’en voir ?
M : Ma façon d’aimer le cinéma n’est pas forcément la même lorsque je réalise mes films. Je sais que je suis cataloguée comme « réalisatrice réaliste », mais ce n’est pas le seul genre que j’aime faire. Il est vrai que, lors des tournages, j’essaie toujours d’obtenir cette vérité que je cherche tant. Cela représente pour moi le meilleur moyen de conquérir le public, qu’il croit en mon film et à l’émotion dégagée. Je ne me vois pas adopter la même direction que celle de Robert Bresson et pourtant j’adore son cinéma. D’une manière plus générale, j’aime passionnément le cinéma, tous les genres, tous les pays, toutes les époques et toutes les histoires. Et si on me considère comme une adepte du « cinéma vérité », vous verrez bientôt que je n’ai pas dit mon dernier mot. Je suis capable d’élargir mon répertoire.
Nicolas Colle
>> Lire notre critique Cannoise de Mon Roi de Maïwenn <<
- MON ROI de Maïwenn en salles le 21 octobre 2015.
- Avec : Vincent Cassel, Emmanuelle Bercot, Louis Garrel, Isild Le Besco, Marie Guillard, Norman Thavaud, Ludovic Berthillot…
- Scénario : Etienne Comar et Maiwenn
- Production : Alain Attal
- Photographie : Claire Mathon
- Décors : Dan Weil
- Montage : Simon Jacquet
- Costumes : Marité Coutard
- Musique : Stephen Warbeck
- Distribution : StudioCanal
- Durée : 2h10
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