Synopsis : Dans une ville côtière du Chili, quatre prêtres marginalisés par l’Église vivent ensemble dans une maison. L’arrivée d’un nouveau pensionnaire va perturber le semblant d’équilibre qui y règne.
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Après la trilogie consacrée au dictateur Augusto Pinochet (Tony Manero, Santiago 73, Post Mortem et NO – notre critique), Pablo Larraín revient avec un autre sujet social et politique controversé qui domine le cinéma du Chili depuis plusieurs années. Primé par l’Ours d’Argent à la dernière Berlinale, El Club aborde les “maisons de retraite” mises en place par l’église catholique pour “accueillir” les prêtres interdits d’exercer leurs fonctions. Le concept même de ces maisons est choquant et Pablo Larraín le montre parfaitement, malgré une trop grande distanciation sur ces individus. Cette maison, remplacement grotesque des cellules de prison, ressemble plutôt à un havre de paix dans lequel évoluent ces religieux, entre courses de lévriers, balades sur la plage et prières collectives. Cette tranquillité extérieure est cependant stoppée par les cris de Sandokan (Roberto Farías), un homme ravagé par les abus sexuels subis dans son enfance. Cette séquence est d’une puissance incroyable : le cadre, qui cloisonne ce personnage, plonge le spectateur dans l’horreur, saisissant l’interminable description de sauvageries. Sandokan expose de manière crue, précise, graphique et mécanique les injustices intolérables ; un peu comme ‘s’il détaillait une recette de cuisine’ avait souligné Pablo Larraín. Il révèle ainsi ce monde parallèle où ces prêtres vivent au-dessous des lois, aussi bien chiliennes qu’humaines. L’opposition entre la justice judiciaire et la justice humaine est en outre très bien traitée : l’individu peut certes échapper à la justice judiciaire mais plus difficilement à celle des hommes.
Si l’institution vaticane est directement visée, le cinéaste apporte une certaine lueur d’espoir à travers le figure du père Garcia, “technocrate du Vatican” (Marcelo Alonso). Face à cette vieille Église conservatrice, hantée par la corruption et la pédophilie, il existe une nouvelle foi, véhiculée par le père Garcia, qui prône la transparence et le renouvellement des valeurs catholiques. La lenteur de certaines séquences traduit la sensation d’enfermement nous provoquant une angoisse constante. La force de l’image dans ce temps extrêmement dilaté construit parfaitement un climat de malaise qui tourne inévitablement à la tragédie. Les teintes bleuâtres du directeur de la photographie, Sergio Armstrong, imprègnent l’atmosphère crépusculaire et accentue la froideur spirituelle des personnages. El Club mérite véritablement un détour dans le traitement de ce sujet passé sous silence. Pablo Larraín n’a pas besoin de théâtralité pour faire ressentir l’horreur ; les abus commis par les prêtes sont de l’ordre de l’indicible mais le cinéaste parvient à le crier haut et fort. C’est ici la force de cette œuvre poignante, qui représente le Chili aux Oscars en 2016, évitant tout jugement basique et sentimentalisme inutile ; Larraín nous fait comprendre que pour montrer l’horreur, il suffit de le dire.
Lucia Miguel
- EL CLUB réalisé par Pablo Larraín en salles le 18 novembre 2015.
- Avec : Alfredo Castro, Roberto Farías, Antonia Zegers, Jaime Vadell, Alejandro Goic, Alejandro Sieveking, Marcelo Alonso, José Soza, Francisco Reyes.
- Scénario : Guillermo Calderón, Daniel Villalobos, Pablo Larraín
- Production : Juan de Dios Larraín
- Photographie : Sergio Armstrong
- Montage : Sebastián Sepúlveda
- Décors et Costumes: Estefanía Larraín
- Musique : Miguel Hormazábal
- Distribution : Wild Bunch
- Durée : 1h37
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