Synopsis: Dans la France des années 2020, Michel Battement, l’éminence grise du chef de l’état, doit d’urgence remonter la cote de popularité du président Bird afin d’empêcher la chute imminente du régime. Au fin fond des sous-sols surchargés de l’Élysée, il organise une consultation secrète, en compagnie des meilleurs cerveaux du pays.
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Trois ans après Réussir sa Vie, son premier film à sketches, Benoît Forgeard revient avec une œuvre d’anticipation déjantée et surréaliste. Gaz de France met en évidence les failles de la communication politique et révèle la décadence de la gouvernance française. Alors que la situation économique va à vau-l’eau et que des révolutionnaires déguisés en oiseaux se pressent devant l’Elysée, une réunion est organisée dans le plus grand secret. L’ennui, c’est que les « cerveaux » cooptés pour cette opération font davantage figure de syndics de faillite que de véritables sauveurs. Mais loin de dresser un constat horrifique de la situation, Benoît Forgeard livre une comédie, dans le ton, mais surréaliste, dans la forme. L’intrigue se déroule en 2020, les conseillés gouvernementaux sont séniles ou pré-pubères, et le pays est géré comme un véritable talk-show ; une distanciation destinée à faire prendre conscience des dérives du storytelling, lequel a pris de l’ampleur depuis les deux derniers mandats français. Philippe Katerine (le président Bird), qui tente de toucher le peuple entre fables fédératrices et symboles maladroitement employés, ressemble curieusement à un mélange entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. S’il joue sur le faste de l’Elysée et sur le mythe de l’hyper-président, son désarroi et ses hésitations le montrent aussi comme un président normal. Un moyen pour le réalisateur de pointer toutes les étrangetés et les contradictions qui fédèrent notre société : les idées de grandeur, ce besoin de vérité, l’écart entre le véritable pouvoir d’un Président et la portée du symbole qu’il représente…
Dans Gaz de France, on découvre des dirigeants qui ont perdu leurs « antennes » et ne savent donc plus capter l’attention du public. Aidé par son oreillette, Philippe Katerine fait des prestations scéniques auxquelles il ne semble pas croire lui-même. On est également touché par la prestation d’Olivier Rabourdin, l’homme de l’ombre mû par une sorte d’espoir sombre. Gaz de France rend au pouvoir politique une dimension mythologique et romanesque. On comprend mieux le titre : le gaz est une matière invisible mais constitue l’une des principales sources d’énergie d’un pays. Le titre suggère également une certaine dématérialisation du réel, une idée que l’on retrouve dans chaque décor. Grâce à l’emploi du fond vert et des décors en 3D, les bureaux de l’Elysée ressemblent à des astronefs planant au-delà des réalités sociales : derrière les fenêtres, pas d’immeubles mais un ballet incessant de formes baveuses et colorées. Cette esthétique du faux imprègne chaque détail : les doigts deviennent des saucisses, les robots s’immiscent parmi les hommes et les dirigeants ont des looks de publicitaires.
La musique, lunaire et hypnotique, renvoie à cette idée de perdition. L’intrigue et les dialogues sont aussi fumeux que tout le reste : le récit multiplie les chausse-trapes et les faux rebondissements, créant des effets de suspense pour les briser aussitôt. Si Gaz de France semble à la fois sophistiqué et loufoque, la réalité qu’il décrit est souvent triviale et sombre. On redoute même que Benoît Forgeard n’ait été un peu trop intuitif quant à l’évolution de la situation actuelle. Mais en exacerbant les aspects burlesques de la tragédie, le réalisateur en gomme la dimension anxiogène. Reste une Å“uvre à tiroirs pleine de finesse qui, loin de chercher à raviver la flamme révolutionnaire, tend à nous rappeler qu’on pourrait aussi, parfois, avoir les dirigeants qu’on mérite…
- GAZ DE FRANCE réalisé par Benoît Forgeard en salles le 13 janvier 2016.
- Avec : Olivier Rabourdin, Philippe Katerine, Antoine Gouy, Alka Balbir, Philippe Laudenbach, Darius, Jean-Luc Vincent, Anne Steffens, Elizabeth Mazev…
Scénario : Benoît Forgeard, Emmanuelle Lautreamont
Production : Emmanuel Chaumet
Photographie : Thomas Favel
Montage : Nicolas Boucher, Bertrand Burgalat
Décors : Benoît Bechet, Astrid Tonnelier
Costumes : Annie Melza Tiburce
Musique : Julien Brossier
Distribution : Shellac
Durée : 1h26
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