Synopsis : Paul, un employé sur une plateforme téléphonique, est en plein burn-out. Un vendredi 13, la chronique du journal télévisé sur ce jour particulier lui apparaît comme un signal pour passer à l’acte. Décidé à concrétiser son geste, Il s’enfuit dans la montagne où il va vivre une expérience unique.
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« J’ai toujours pensé que se foutre en l’air nécessitait certes du courage mais aussi de la chance. (…) Une des rares qualités que les gens me reconnaissent c’est la conscience professionnelle. J’ai toujours été jusqu’au bout des travaux que j’ai entrepris. Que ce soit dans le cadre de mon travail ou dans le privé. Enfant, par exemple, j’ai toujours fini mon assiette ». Tel est l’un des nombreux dialogues, narrés par Michel Houellebecq, qui parsème et donne le ton de cette sixième œuvre de Gustave Kervern et Benoît Delépine, sélectionné à la 71e Mostra de Venise. Deux ans après LE GRAND SOIR (notre critique), œuvre post punk tragiquement drôle sur les inadaptés, primé à Un Certain Regard à Cannes, les coréalisateurs explorent aujourd’hui l’Expérience de Mort Imminente (EMI). Et c’est au tour du romancier et poète de se prêter au jeu devant leur caméra, entre gravité et dérision typiques de leur filmographie, après le duo Benoit Poelvoorde et Albert Dupontel succédant à Gérard Depardieu dans Mammuth. Cette combinaison des trois fait tout l’attrait de Near Death Experience (NDE) centré sur l’écrivain, seul à l’écran pendant 1h27, dans la peau d’un agent des Telecom au bord du gouffre. Le visage creusé, le regard vitreux et le corps inerte et famélique, il interprète Paul, marié et père de famille, qui n’éprouve plus aucune raison de vivre. Il boit trop, fume trop et ne parle pratiquement plus. Le duo grolandais le filme au plus près dans de longs plans fixes et contemplatifs au sein de son entourage, parfaitement secondaire ici, leurs têtes restant hors cadre à la manière des cartoons.
Ce drame psychologique s’ouvre alors sur cet homme neurasthénique en plein burn-out qui, à la date symbolique du vendredi 13, décide de se perdre dans les montagnes en s’enfuyant en vélo avec sa tenue de cycliste sponsorisée par Bic. Kervern et Delépine nous offrent à ce titre le plus long et improbable placement de produit dans l’histoire du cinéma. Michel Houellebecq se pose dès lors en narrateur de son existence dans ce purgatoire verdoyant, isolé et sauvage, après avoir simulé son propre suicide. De ce postulat de départ, les réalisateurs nous offrent une intéressante réflexion existentielle à travers le bilan de cet individu ‘obsolète’ à 56 ans, confronté à lui-même, qui fait inévitablement écho au lauréat du Prix Goncourt pour La Carte et le Territoire. Near Death Experience prend alors des allures d’oeuvre testamentaire, se fendant d’une introspection monumentale de Houellebecq, dont la physionomie parvient à se transformer sous nos yeux, selon la couleur, la lumière et l’angle de la caméra. A travers cette expérience particulière dans ce no man’s land désert, tourné en seulement dix jours à Marseille, il croise un autre individu errant, avec lequel il joue au petit cycliste, et une Endorphine délicate émanant de son inconscience lorsqu’il tente de passer à l’acte.
Les réalisateurs posent ainsi un regard à la fois triste, comique, tendre et empli d’espoir et de poésie sur cet homme qui dévide sa vie dans des monologues avec sa voix monocorde, tout en abordant l’évolution de l’état du monde, de la société moderne, de l’homme et son besoin de confort et ce que la nature révèle lorsqu’on se confronte à elle. Comme le docu-fiction L’enlèvement de Michel Houellebecq de Guillaume Nicloux pour Arte et programmé le 27 août, Near Death Experience poursuit un peu dans cette veine de l’autoportrait loufoque sous-jacent pour en devenir ici une sorte de plaidoyer, d’exutoire mental, de dispositif d’observation, voire de remède anti-tentatives de suicide. Car si ‘se foutre en l’air nécessite du courage’, il est plutôt question ici de courage de vivre avec cette fameuse endurance ‘à endurer’ lorsque les situations, les actes et les conséquences échappent à tout contrôle sans qu’on s’en rende compte. A l’instar de Darren Aronofsky avec Mickey Rourke, Kervern et Delépine nous livrent leur The Westler à la française, avec ce monument littéraire et réalisateur du fiasco La Possibilité d’une Ile. Si l’on peut reprocher des longueurs certaines et un personnage qui “parle trop et ne se suicide pas assez’, Near Death Experience nous offre néanmoins des passages bien décalés, nourris d’images contemplatives au rythme d’une bande son entre rock, métal et classique, parvenant ainsi à transfigurer le Houellebecq insaisissable, qui a souvent été hanté par l’idée par de la mort…
- NEAR DEATH EXPERIENCE coécrit et coréalisé par Gustave Kervern et Benoît Delépine en salles le 10 septembre 2014.
- Casting : Michel Houellebecq, Marius Bertram, Manon Chancé, Gustave Kervern, Benoît Delépine…
- Production : Philippe Godefroy
- Photographie : Hughes Poulain
- Son : Guillaume Lebraz
- Montage : Stéphane Elmadjian
- Distribution : AdVitam
- Durée : 1h27
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