Résumé : Aujourd’hui symbole de la culture de masse américaine et de la télévision pour enfants, Mickey Mouse fut, en son temps, un véritable héros du cinéma hollywoodien. Dès son premier cartoon en 1928, la petite souris excentrique fascine. Elle est bientôt plus appréciée que John Wayne, plus connue que Fred Astaire, plus populaire que Marilyn Monroe… S’inspirant de grands artistes muets, tels Chaplin pour sa poésie ou Fairbanks pour son sens du mouvement, Walt Disney a fait de Mickey un personnage à part entière. Clément Safra revisite ici la généalogie et le vertigineux succès de cette créature devenue légendaire.
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La première gageure de La Face cachée de Mickey Mouse se confond avec sa première réussite : parvenir à inverser les perspectives habituelles des études consacrées au cinéma d’animation pour privilégier la persona du héros de papier sur celle de son dessinateur. Les multiples référents humains à l’origine de la célèbre souris (de Charlie Chaplin à Fred Astaire, en passant par Douglas Fairbanks et l’ensemble des animateurs, Walt Disney compris, s’étant affairer à sa création) justifient l’audace de l’entreprise. L’objectif avoué de Clément Safra, déjà auteur du Dictionnaire Spielberg (2011) publié par Vendémiaire, se révèle particulièrement intéressant : sortir le dessin animé des marges auxquelles les critiques et historiens l’ont trop souvent cantonné, sans pour autant oublier son originalité fondatrice. De fait, les courts métrages mettant en scène les aventures de Mickey s’intègrent à un corpus élargi dont les seules limites demeurent historiques (la période du classicisme hollywoodien, soit de 1920 à 1950). Photogrammes à l’appui, Safra compare la gestuelle de la souris avec celles de Chaplin et de Fairbanks. Car si l’humour de Mickey rejoint l’élasticité plastique du cartoon, sa nature reste profondément gravitationnelle. L’élan de liberté anarchique qui fera les grandes heures des métrages de Tex Avery n’est pas (tout à fait) pour lui. Ce principe de reprise sur ses modèles photoréalistes fonctionne certes à la manière de clins d’œil mais s’éloigne pourtant de la parodie pour se rapprocher de l’hommage le plus révérencieux. Car, au-delà de leurs particularités physiques, ce que Mickey retient de ses illustres contemporains et prédécesseurs ce sont des valeurs morales dont il ne se départira jamais.
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Cette identité polysémique et synthétique permet à l’auteur d’orienter progressivement sa réflexion vers une perspective plus sociale et civilisationnelle. L’Amérique selon Mickey Mouse n’a rien de l’homogénéité creuse vilipendée par les lectures idéologisantes de ses détracteurs. Si le personnage animé est bien doté d’un caractère héroïque, son éducation fut, comme le rappelle Safra, longue et parfois même douloureuse. Les animateurs réprimandent les espiègleries souvent violentes de la petite souris avant que le temps et l’apparition puis la mise en application du Code Hays (1934) ne viennent la forcer à s’assagir. La carrière de Mickey ressemble finalement à celles de toutes les stars. Les années passant, sa physionomie se transforme mais, délice d’absurdité propre à l’animation, en sens inverse. L’auteur analyse finement ce passage qui mène Mickey à adopter un visage plus en accord avec l’évolution de son public et des canons esthétiques de notre époque. On retient de cet excellent essai richement illustré quelques analyses particulièrement brillantes.
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Safra consacre ainsi de longs moments à certaines séquences exemplaires tout en détaillant avec minutie les principaux apports techniques dont les films de Mickey annoncent l’émergence. Comme le travail sonore relatif à une synchronie à la fois formelle et culturellement syncrétique (Mickey, héraut de la musique classique et des ballades populaires). En résulte la composition d’une figure complexe et pleine dont l’auteur peut se vanter d’avoir éclairé de nombreuses facettes trop peu souvent étudiées. Seul défaut que nous nous devons de mentionner, l’absence de toutes sources bibliographiques alors que la réflexion de Safra emploie fréquemment les guillemets de la citation. Un manque qui n’entache cependant rien à la réussite de cet ouvrage en tout point original.
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- LA FACE CACHÉE DE MICKEY MOUSE par Clément Safra disponible aux Éditions Vendémiaire depuis le 6 octobre 2016
- 192 pages illustrées
- Prix : 25 €