Neruda de Pablo Larraín : critique

Publié par Antoine Gaudé le 1 janvier 2017

Synopsis : 1948, la Guerre Froide s’est propagée jusqu’au Chili. Au Congrès, le sénateur Pablo Neruda critique ouvertement le gouvernement. Le président Videla demande alors sa destitution et confie au redoutable inspecteur Óscar Peluchonneau le soin de procéder à l’arrestation du poète. Neruda et son épouse, la peintre Delia del Carril, échouent à quitter le pays et sont alors dans l’obligation de se cacher. Il joue avec l’inspecteur, laisse volontairement des indices pour rendre cette traque encore plus dangereuse et plus intime. Dans ce jeu du chat et de la souris, Neruda voit l’occasion de se réinventer et de devenir à la fois un symbole pour la liberté et une légende littéraire

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neruda-affiche

Neruda – affiche

Après No (2013), le prolifique Pablo Larraín reconduit l’excellent duo Gael Garcia Bernal et Luis Gnecco dans Neruda. L’acteur mexicain incarne ici le policier chargé de traquer le poète-communiste Pablo Neruda joué par Gnecco. Avec ce film, le cinéma de Larraín prend une tournure des plus appréciables et pertinentes tant il parvient ici à questionner la porosité et la spécificité des rapports entre fiction et fait historique par l’entremise d’un médium dont il maîtrise de mieux en mieux le langage. Son « biopic », avec ses figures historiques plus ou moins connues, s’aventure dans un espace fictionnel envoûtant aux dimensions fantastiques, voire surréelles. Le cinéaste chilien s’amuse des genres cinématographiques passant progressivement du thriller, avec cette chasse au fugitif, au western, avec ces chevaux et montagnes enneigées. Il filme les Andes à la frontière de l’Argentine comme un paysage de western crépusculaire, presque métaphysique. Un royaume des morts qui sert de final à une course-poursuite qui voit ces deux hommes plongés dans les tréfonds de leur conscience et de leur intimité, dans une sorte de rêverie incandescente. La nature sauvage d’un blanc presque immaculé laisse un vide quasi existentiel plané au-dessus de cette figure du double. Chacun renvoyant ses désirs et ses craintes à l’autre. Le film joue jusqu’au bout sur le caractère contrasté de ces deux (anti)héros romanesques aux multiples facettes. Fils d’un prestigieux policier chilien, Oscar Peluchonneau n’en reste pas moins un fils du peuple (une mère prostituée), une « plaie » identitaire dont il ne pourra jamais se défaire malgré ce désir ardent de faire ses preuves, d’effacer à tous prix cette « erreur ». À l’inverse, Pablo Neruda est une sorte de « prince », un être dionysiaque vivant d’amour et d’ivresse. Il mène une vie d’intellectuel de gauche : entre soirées oisives et autres bordels, il prend tout de même le temps de s’offusquer de la misère sociale qui ronge son pays ainsi que la souffrance de son peuple (la répression politique).

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Neruda

Neruda

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Artiste mégalo, mari aimant, amant généreux, figure politique insatiable et poète génial, Pablo Neruda voit la vie comme un simple jeu à l’instar de toute fiction. Ni pure réalité ni pure fabulation, c’est un monde qu’il a pris soin de créer de toute pièce, à l’image de cette histoire fantasmée de double. Un jeu de « chat et de la souris » basé sur des indices littéraires qu’il sème malicieusement et qui tissent une relation de fantasme et de respect entre deux hommes qui se rêvent plus grand que nature, plus fictionnelle que réelle. Neruda thématise ce rapport à la réalité en travaillant sa dramaturgie tout autant que son imagerie comme des moyens techniques et artistiques propres à voyager entre l’intérieur et l’extérieur de l’immersion fictionnelle. Chez Larraín, la fiction vient recouvrir l’histoire officielle, d’un autre monde des possibles. Sa vision poético-romantique donne les pleins pouvoirs à l’artiste, au poète modélisant le réel à sa guise. L’histoire officielle n’est finalement rien d’autre qu’un roman vrai ; les apparitions de Pinochet ou de Picasso rappellent la porosité entre les deux univers, ou comment la fiction peut aussi intégrer l’histoire, s’approprier ces figures, et leur donner cette aura romanesque, presque légendaire. Cinéma et poésie se retrouvent ici en tant qu’art du temps et comme art total, synthèse du visuel et de l’ouïe. Larraín aime les atmosphères singulières, marquées.

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Neruda

Neruda

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Après le grain très 80’s de No et le voile bleuté de El Club, c’est du côté du violet et du sépia que lorgne Neruda. Pour accompagner ce travail de l’image, c’est avec la voix-off, dialogue donnant un accès à la conscience de ses personnages, que Larraín irradie son film d’une aura littéraire. Et c’est par le montage – ces fameux faux raccords – que le film s’émancipe d’une logique de narration linéaire ; celle-ci devenant heurtée et abstraite, plus à même de se recentrer sur les errements de ces personnages et moins sur l’efficacité de leurs actions. Loin d’être épuré, l’art cinématographique de Larraín recèle d’artifices et semble parfois se gonfler gratuitement par pure complaisance, mais projette un espace de possibilité fait de surprise et de suspense à l’imaginaire foisonnant. Avec Neruda, la mise en scène anecdotique dont souffrait No se substitue à une imagerie et à une dramaturgie travaillant ensemble au service de la figure du poète, d’une vision poétique du monde, elle seule capable d’atteindre une vérité idéale. 

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  • NERUDA de Pablo Larraín en salles le 4 janvier 2017.
  • Avec : Gael Garcia Bernal, Luis Gnecco, Alfredo Castro, Mercedes Morán, Diego Muñoz, Emilio Gutierrez Caba, Pablo Derqui, Alfredo Castro…
  • Scénario : Guillermo Calderon
  • Production : Juan de Dios Larrain, Peter Danner, Renan Artukmaç, Alex Zito, Renan Artumaç, Fernanda Del Nido…
  • Photographie : Sergio Armstrong
  • Décors : Estefania Larrain
  • Costume : Madeline Fontaine
  • Musique : Federico Jusid
  • Distribution : Wild Bunch
  • Durée : 1h48

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