Synopsis : En pleine nuit, Terry Lennox demande à son ami Philip Marlowe, un détective privé, de le conduire de toute urgence au Mexique. Ce dernier accepte, mais à son retour il est fraîchement accueilli par la police. Sylvia, l’épouse de Lennox, a en effet été retrouvée assassinée et Marlowe est inculpé pour meurtre.
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Le Privé fait partie de ces oeuvres véritablement estimées par les cinéphiles, sans avoir reçu l’accueil qu’elles méritaient à leur sortie. En novembre 1973, la presse n’avait pas été emballée par ce film vendu comme un detective movie, alors même qu’il tient davantage – et c’est tout l’intérêt – d’une satire de la société américaine, frappée par la guerre du Vietnam comme une gueule de bois. C’est alors un plaisir de voir The Long Goodbye (le titre américain) ressortir sur les écrans en copie neuve. Il s’agit là d’une adaptation par Robert Altman d’un roman du même nom de Raymond Chandler sur un scénario signé par Leigh Brackett pour lequel l’univers de Chandler n’est pas inconnu. Il avait en effet précédemment participé à celui du Grand Sommeil de Howard Hawks en 1946, une autre aventure de Philip Marlowe, le héros. Le film n’a pas vieilli dans ce portrait simple et touchant d’un détective privé, personnage désabusé de ce qui se meut autour de lui sans avoir l’air d’en faire partie. Robert Altman a décrit le film comme l’histoire d’un homme qui perd son meilleur ami et son chat. Cette promesse trouve écho dès le premier quart d’heure et dans son dénouement. L’introduction tient dans le réveil à 3h du matin de Marlowe par son chat, alors que celui-ci dort encore habillé, avant de craquer une allumette pour mettre en bouche une cigarette qu’il renouvellera pratiquement tout le long du film. Cette séquence habile permet de présenter l’environnement du personnage et jusqu’où celui-ci est prêt à aller pour son capricieux animal. Parallèlement, Terry Lennox s’apprête à débouler dans la vie presque monotone et alanguie de son ami.
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Le ton de The Last Goodbye est irrévérencieux, ironique et toujours aussi drôle – on frôle presque le gag – même quarante-quatre ans après. Altman propose une relecture du film noir, cassant quelque peu les codes et faisant de son personnage l’incarnation d’un malaise ambiant. Une société de paradoxes où la galerie de personnages qui gravitent autour de Marlowe en témoigne. Ainsi la réplique de l’homme de main en charge de filer Philip Marlowe – et qui bénéficie des conseils de l’intéressé sur la démarche à suivre – fait mouche lorsqu’il demande « Où sont passés les vrais métiers ? ». Il fait référence aux voisines du détective, des hippies, adeptes de yoga, qui vivent en colocation la plupart du temps seins nus et pour lesquelles Marlowe ne montre aucun intérêt. C’est aussi une réflexion sur la profession de détective et sa légitimité, qui se trouvent tout du long en conflit avec les autorités policières sauf quand Marlowe les soudoie.
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Elliot Gould, avec lequel Altman a déjà collaboré sur M.A.S.H (meilleure comédie aux Golden Globes en 1971) est d’une justesse en anti-héros qui se rit de tout le monde et ne sait pas dire s’il a « un travail régulier » quand il est interrogé. Il semble traîner sans être moteur de l’action tandis qu’il se parle souvent à lui-même. « It’s okay with me » ne cesse-t-il de répéter. On perçoit pourtant un code de l’honneur important ainsi qu’un instinct affuté, par l’énergie qu’il met à prouver l’innocence de Lennox. « Je n’y crois pas » suffit alors comme argument et on ne peut que le suivre, le découvrant philosophe pour un film poétique. La superbe photographie, on la doit au talent de Vilmos Zsigmond, qui a travaillé sur Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino. La mise en scène sert une nostalgie et le rôle d’observateur en marge du héros, tandis que la composition et l’utilisation de plans larges jouent sur la mise en perspective. Altman propose par ailleurs un véritable langage de la fenêtre. Tout est vu du point de vue de Marlowe dans une enquête qui avance seulement à mesure de ce qu’il découvre pour le spectateur.
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Le Privé conserve un petit côté sulfureux qui a perdu volontairement de sa classe mais sans le rendre démodé. Mention spéciale à la musique composée par John Williams dont on ne se lasse pas alors que les arrangements se font latins, jazzy, au piano ou à capella. Marlowe fait taire dans le dénouement ceux qui pouvaient le penser faillible et accomplit une revanche toute personnelle, calmement et avec précision. Celle-ci est aussi franche que l’amitié précieuse qu’il éprouve pour Lennox et donne vie à la tagline du film « Nothing says goodbye like a bullet », rendant l’œuvre totalement culte.
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- Ressortie de LE PRIVÉ (The Long Goodbye) de Robert Altman en salles en copie neuve le 28 juin 2017.
- Avec : Elliott Gould, David Carradine, Henry Gibson, Mark Rydell, Nina Van Pallandt, Sterling Hayden, Warren Berlinger, David Arkin…
- Scénario : Leigh Brackett d’après l’oeuvre de Raymond Chandler
- Production : Jerry Bick
- Photographie : Vilmos Zsigmond
- Montage : Lou Lombardo
- Décors Sidney H. Greenwood
- Costumes : Kent James, Marjorie Wahl
- Musique : John Williams
- Distribution: Capricci / Les Bookmakers
- Durée : 1h52
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