Synopsis : Une jeune femme, convaincue d’être harcelée, est enfermée contre son gré dans une institution psychiatrique. Alors même qu’elle tente de convaincre tout le monde qu’elle est en danger, elle commence à se demander si sa peur est fondée ou le fruit de son imagination …
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Cinéaste à la filmographie très éclectique, Steven Soderbergh aime mélanger les genres et innover. Le réalisateur a souvent été aux commandes d’œuvres cinématographiques centrées sur des braquages (la trilogie Ocean’s, Logan Lucky…). Dans Paranoïa, il ne s’agit pas de dérober un coffre-fort, mais de s’introduire dans la psyché humaine. Sawyer (Claire Foy) s’est installée à Boston pour prendre un nouveau départ et oublier le harcèlement qu’elle a subi de la part de David (Joshua Leonard). Mais cet environnement étranger devient une source d’angoisse et elle commence à voir son agresseur partout. Décidée à ne pas se laisser abattre, la jeune femme va chercher de l’aide en prenant rendez-vous avec une psychologue dans un institut psychiatrique. À la fin de la séance, on lui demande de signer la « paperasse administrative habituelle », Sawyer donne ainsi, sans s’en apercevoir, son consentement pour être internée pendant 24 heures. Sa recherche initiale de soutien mental prend une tournure cauchemardesque. Habitude récurrente du cinéaste qui a lui-même pris en main la photographie et le montage de Paranoïa. Le tournage avec trois iPhone 7 Plus permet une mobilité importante. La sensation d’intrusion dans l’intimité de Sawyer, due à la proximité de la caméra qui épouse presque les mouvements de la proie, prend une dimension malsaine. Le spectateur devient à son tour voyeur.
Le détournement des croyances et points de repères usuels est le moteur principal de l’angoisse qui s’installe progressivement. Avant d’induire à l’empathie vis-à-vis de l’héroïne, le long-métrage s’ouvre sur les pensées de David, rappelant son statut d’être humain et s’éloignant de l’image monstrueuse habituellement attribuée aux tortionnaires. La couleur bleue, généralement représentative de l’introspection au cinéma, envahit la séquence introductive. Par la suite, elle est toujours utilisée pour dévoiler l’esprit du harceleur, comme lorsqu’il décrit Sawyer qui portait une robe bleue la première fois qu’il l’a vue. Cette tonalité est au cœur d’une scène marquante, se déroulant dans une cellule d’isolement inondée par ce coloris. En s’enfermant avec l’objet de son obsession, David permet à la jeune femme d’accéder à son esprit pour le détruire. Avec ce thriller psychologique et film d’horreur qui joue sur le mental de ses personnages, comme dans beaucoup de ses œuvres, Soderbergh mêle plusieurs genres pour révéler les défaillances de la civilisation étasunienne.
Après Effets Secondaires, le réalisateur poursuit sa description sombre du système médical américain qui fait passer les profits avant les humains. La protagoniste apparaît comme combative et déterminée jusqu’à ce qu’on la mette en position de faiblesse, pour le simple motif que son assurance prend en charge les frais d’hospitalisation. Sawyer est persuadée de sa réussite personnelle, inconsciente que celle-ci dépend de la volonté de ceux qui dominent. Paranoïa démasque également l’hypocrisie d’une façade égalitaire idyllique, où les institutions pénalisent ceux qui ont besoin d’être aidés et sanctionnent inefficacement les individus dangereux. Une illusion entretenue par tous qui protège et favorise surtout les hommes blancs. La position privilégiée de ces derniers, représentants de l’autorité et dirigeants des institutions, s’établit aux dépens du reste de la population. Œuvre hétéroclite qui nous plonge dans le psychisme humain pour dénoncer plusieurs aspects de la société actuelle, Paranoïa revisite avec brio plusieurs éléments classiques du thriller psychologique.
Erica Farges
- PARANOÏA (Unsane)
- Sortie salles : 11 juillet 2018
- Réalisation : Steven Soderbergh
- Avec : Claire Foy, Joshua Leonard, Amy Ivring, Jay Pharoah, Juno Temple, Aimee Mullins, Matt Damon, Polly McKie, Erin Wilhhelmi, Gibson Frazier, Sarah Stiles
- Scénario : Jonathan Bernstein, James Greer
- Production : Joseph Malloch, Corey Bayes
- Photographie : Steven Soderbergh
- Montage : Steven Soderbergh
- Décors : April Lasky
- Costumes : Susan Lyall
- Musique : Thomas Newman
- Distribution : Twentieth Century Fox France
- Durée : 1h38