Synopsis : Un flic pourri et drogué accumule les dettes. Lorsqu’une nonne est violée par deux hommes dans une église, celle-ci place une récompense sur la tête des deux criminels. Le Lieutenant voulant payer les dettes qui mettent en danger sa propre vie, décide de rechercher les criminels, tel un chasseur de primes. Sa descente aux enfers ne verra plus de fin…
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Originaire de New York, comme beaucoup de ses confrères, Abel Ferrara aime dépeindre la ville qui ne dort jamais avec la caméra au poing. Son œuvre néo-noir Bad Lieutenant remet en cause la crédibilité de plusieurs institutions de la Grosse Pomme entre le Black Monday, en référence au krach boursier de 1987, et les années Giuliani. Ferrara coécrit le scénario, inspiré d’un fait réel ayant eu lieu dans le quartier de Spanish Harlem en 1982, avec Zoë Lund. L’actrice aux multiples talents, qui fût l’héroïne de L’Ange de la vengeance, joue un petit rôle ici. Bouleversés par le fait divers, les coscénaristes lui accordent une place centrale dans le long-métrage. C’est la séquence du viol de la nonne (Frankie Thorn) avec un crucifix au sein de l’église qui déclenche la désacralisation du catholicisme, religion majoritaire dans les quartiers populaires de New York et selon laquelle le cinéaste lui-même a été élevé. L’agression sexuelle est visuellement comparée à la Crucifixion du Christ, incarné à l’écran par Paul Hipp. Confronté à cette affaire, le Lieutenant (Harvey Keitel) ne parvient plus à contrôler ses démons. Face au pardon qu’est capable d’accorder la bonne sœur à ses agresseurs (Fernando Velez et Joseph Michael Cruz), le policier se lance dans une quête expiatoire vaine espérant trouver sa propre rémission.
Près de vingt ans après son rôle de Charlie Cappa dans Mean Streets, Harvey Keitel incarne à nouveau un personnage tiraillé entre le banditisme et la foi. Censé être un homme de loi, il évolue anonymement en véritable anti-héros décadent dans une métropole au taux de criminalité élevé et à l’économie précaire, où même les jeux de baseball des Mets, dont les résultats rythment les journées de la population new-yorkaise à travers la radio et la télévision, sont souillés par l’argent des paris. Tour à tour individu submergé par ses vices, simple observateur impuissant et victime, le protagoniste, impersonnel jusqu’à son absence de nom, représente l’échec de la mission rédemptrice de la justice et la crise morale des civilisations occidentales à la fin du vingtième siècle.
Les scènes sont majoritairement improvisées, les prises de drogues réelles, le tournage en moins de vingt jours rapide, l’esthétique brute, les vrais passants et non des figurants sont utilisés pour obtenir des réactions authentiques à la brutalité des actions filmée. Ainsi, la mise en scène de Ferrara, aidée par Ken Kelsch, son directeur de la photographie attitré, fait jaillir l’intensité d’une violence hyperréaliste et évite la caricature. On passe souvent, sans transition, de longues séquences d’une horreur insoutenable à celles qui montrent la vie de famille commune du Lieutenant. L’hostilité, ancrée dans le quotidien du personnage principal, est banalisée, tout en accroissant le malaise par une exposition prolongée des images brutales.
Bad Lieutenant scandalise lors de sa sortie et déçoit les spectateurs qui s’attendent à voir un film policier classique dont l’intrigue porte uniquement sur la résolution d’une enquête. Cependant, la singularité de sa mise en scène et la pertinence avec laquelle il aborde le sujet de la rédemption sont saluées par les cinéphiles, l’œuvre de Ferrara devient ainsi rapidement culte. Le cinéaste offre un drame criminel brut qui expose la dépravation humaine, et urbaine, pour interroger les possibilités de réhabilitation de ceux qui la vivent.
Erica Farges
- BAD LIEUTENANT
- Version restaurée 4K
- Ressortie salles : 15 août 2018
- Réalisation : Abel Ferrara
- Avec : Harvey Keitel, Zoë Lund, Victor Argo, Paul Calderone, Leonard Thomas, Anthony Ruggiero, Robin Burrows, Victoria Bastell, Frankie Thorn, Fernando Velez, Joseph Michael Cruz, Paul Hipp
- Scénario : Abel Ferrara et Zoë Lund
- Production : Edward R. Pressman, Mary Kane, Randall Sabusawa, Ronna B. Wallace et Patrick Wachsberger
- Photographie : Ken Kelsch
- Montage : Anthony Redman
- Décors : Stephanie Carroll
- Costumes : David Sanaryn
- Musique : Joe Delia
- Distribution : Capricci Films / Les Bookmakers
- Durée : 1h38
- Sortie initiale : 20 novembre 1992 (États-Unis) – 10 mars 1993 (France)