Swallow de Carlo Mirabella-Davis : critique

Publié par Joanna Wadel le 14 janvier 2020

Synopsis : Hunter semble mener une vie parfaite aux côtés de Richie, son mari qui vient de reprendre la direction de l’entreprise familiale. Mais dès lors qu’elle tombe enceinte, elle développe un trouble compulsif du comportement alimentaire, le Pica, caractérisé par l’ingestion d’objets divers. Son époux et sa belle-famille décident alors de contrôler ses moindres faits et gestes pour éviter le pire : qu’elle ne porte atteinte à la lignée des Conrad… Mais cette étrange et incontrôlable obsession ne cacherait-elle pas un secret plus terrible encore ?

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Swallow - affiche

Swallow – affiche

Que faire du guide « Femme au foyer heureuse » offert par belle-maman ? Carlo Mirabella-Davis propose avec l’acide Swallow quelques éléments de réponse. Le cinéaste new-yorkais remarqué à Sundance se fait les dents sur un premier long-métrage de fiction, dans le sillon de son court aiguisé Knife Point, qui noyait la bigoterie de l’Amérique conservatrice dans un bain de sang. Avec le même mordant, le réalisateur s’attaque à un autre mythe social, le rêve américain, qu’il érafle en contant l’histoire d’Hunter, jeune épouse enceinte d’un homme d’affaires, cloîtrée dans une vie bourgeoise, qui se met à avaler les objets de sa belle villa. Le Pica, compulsion alimentaire méconnue, s’immisce avec fracas dans cette existence réglée comme du papier à musique. Film-ovni récompensé à Deauville en septembre dernier, Swallow (Avaler) est un thriller perturbant, mâtiné de comédie noire, dont le cœur est un récit intimiste inspiré du destin de la grand-mère de Mirabella-Davis, contrainte de subir une lobotomie dans les années 1950, après avoir développé un trouble similaire. Une issue tragique, dont le scénariste s’empare pour composer une œuvre sensible, grinçante, au féminisme acéré. Car plus qu’une question médicale, c’est de désordre dont il s’agit. Un désordre social, perçu comme une défaillance à pallier au plus vite. 

 

Swallow

Swallow

 

Chez les Conrad, comme dans la bonne société dont ils font partie, le trouble mental fait tâche. D’ailleurs, le salon d’Hunter (Haley Bennett) est immaculé, moderne, spacieux, agencé comme dans un catalogue d’architecture suédois. Ouvert par une baie vitrée sur une nature calme, l’appartement manque pourtant de vie. En apnée dans ce bonheur feint, cet idéal dont il ne reste que le squelette : un mari, une maison, de l’argent, Hunter suffoque.

 

Le réalisateur transpose l’histoire de sa grand-mère dans un environnement contemporain, aseptisé, qui tranche avec une vie domestique rance aux mœurs archaïques. Soixante ans après, les smartphones n’y changent rien, les hommes travaillent, mettent les pieds sous la table et leurs compagnes sont des ventres. Les traits ronds, le visage angélique et le jeu contenu d’Haley Bennett, coiffée d’une coupe 60’s, façonnent une héroïne ingénue, une éponge émotionnelle qui absorbe les insatisfactions. À l’instar de la bille et des punaises qu’elle ingère, Hunter est une femme-objet qui décore sa propre maison.

 

Tour à tour potiche, « poupée » – le surnom que lui donne sa mère – elle est promenée du lit à la cuisine, en passant par les réceptions mondaines organisées par sa belle-famille. Elle n’a pas plus de valeur qu’un meuble. Elle va donc en manger les clous. Une analogie qui peut sembler grotesque, mais dont Mirabella-Davis use habilement, pour aborder l’épineuse notion du consentement féminin, en société, mais aussi en médecine.

 

Swallow

Swallow

 

Le thème du traumatisme, source des compulsions, survient dans la foulée, à travers la maltraitance psychologique que subit la jeune femme, dont les faits et gestes sont guettés par son mari, Richie (Austin Stowell), et ses parents, Katherine (Elizabeth Marvel) et Michael (David Rasche). Un sort qui fût sans doute celui de l’aïeule du réalisateur, mais auquel parvient à échapper l’héroïne, dans un final libérateur et teinté d’espoir. Une fugue que Mirabella-Davis prépare graduellement.

 

Dès ses premières images, Swallow captive en cultivant l’attraction pour le détail. Visuel et sonore, le récit s’évade dans une dimension parallèle envoûtante, puisque le tintement de couverts est plus pertinent que les dialogues creux des protagonistes, chez qui tout sonne faux. Au cours d’un dîner ennuyeux comme la pluie avec ses beaux-parents, Hunter se coupe des discussions business qui occupent la tablée en engloutissant une poignée de glaçons. On les entend s’entrechoquer entre ses dents avant de glisser goulûment dans sa trachée.

 

Les bruits de mastication, de cuisine, d’objets divers qui ponctuent la bande-sonore annoncent l’apparition du trouble, et confinent le spectateur dans une ambiance magnétique, qui facilite l’approche instinctive et sensible de l’intrigue voulue par le cinéaste. On retrouve ici la patte de Mirabella-Davis, attaché aux gros plans, aux regards, qui forment une narration particulière, visuelle et peu loquace.

 

Swallow

Swallow

 

L’univers sonore et organique dans lequel évolue Hunter se révèle être un terrain propice à l’horreur, qui s’invite lorsque la jeune femme, qui porte un enfant, se découvre une préférence pour les sujets dangereux, pointus ou coupants. Un challenge gore d’autant plus inquiétant que la frénésie avec laquelle Hunter s’y livre tient de l’irrationnel. Si bien qu’à chaque ingestion, on se demande si la jeune femme ne va pas donner naissance à quelque chose d’effrayant. Une touche cronenbergienne mêlée à quelques notes de Rosemary’s Baby, avec lesquelles s’amuse le cinéaste.

 

Après avoir reçu le Prix spécial du 45e Festival de Deauville et fait ses armes à Sundance, Carlo Mirabella-Davis confirme ses talents de scénariste et de réalisateur, en signant un film incisif sur le trauma et le rapport au corps, dans un style porteur de son intérêt pour les grands maîtres du thriller.

 

On y retrouve avec plaisir l’influence d’Hitchcock, mais aussi du symbolisme de Douglas Sirk. Swallow n’en est pas moins unique, et distille dans cette esthétique, comme figée sur papier glacé, un regard avisé, moderne et touchant sur la condition féminine. Un très bel hommage, qui prouve à l’heure du cinéma post-#MeToo qu’horreur et féminisme font bon ménage.

 

>> Lire notre interview avec le réalisateur Carlo Mirabella-Davis <<

 

 

 

  • SWALLOW
  • Sortie salles : 15 janvier 2020
  • Réalisation : Carlo Mirabella-Davis
  • Avec : Haley Bennett, Austin Stowell, Denis O’Hare, Elizabeth Marvel, David Rasche, Luna Lauren Velez, Zabryna Guevara, Laith Nakli, Babak Tafti, Nicole Kang…
  • Scénario : Carlo Mirabella-Davis
  • Production : Mynette Louie, Mollye Asher, Carole Baraton et Frédéric Fiore
  • Photographie : Katelin Arizmendi
  • Montage : Joe Murphy
  • Décors : Erin Magill
  • Costumes : Liene Dobraja
  • Musique : Nathan Halpern
  • Distribution : UFO Distribution
  • Durée : 1h34

 

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