Disparu le 11 septembre 2020, Roger Carel interpréta les voix de certains des plus grands personnages du cinéma et de la télévision. Hommage à cet inimitable acteur et à ses multiples avatars.
Du serpent Kaa du Livre de la jungle à Astérix, en passant par Winnie l’ourson, Mickey, Kermit, C-3PO, l’irrévérencieux Fritz le chat, ou le fantasque (mais sage) Maestro de l’émission télévisée Il était une fois… l’art polyphonique de Roger Carel, né le 14 août 1927 à Paris, traversa registres, timbres et genres pour bercer des générations entières.
Comédien de théâtre (quelque trente pièces entre 1949 et 1979), figurant ou second rôle spécialisé dans le cinéma populaire (Ophélia de Chabrol ; Une veuve en or et Elle cause plus… elle flingue de Michel Audiard ; Le Grand Bazar de Zidi ; Papy fait de la résistance de Poiré ; Les Mille et Une Nuits de Philippe de Broca ; Mon homme de Blier pour sa dernière apparition sur le grand écran en 1996), Carel fut d’abord un homme de l’ombre.
À l’heure des plateformes VOD où les doublages font les frais d’une logique concurrentielle qui impose une rapidité d’exécution, Carel prônait une méthodologie fondée sur l’interprétation. Le doubleur rappelait l’importance de voir les films avant l’enregistrement et de bien analyser l’identité du personnage afin de pouvoir conférer une certaine cohérence à sa personnification vocale.
C’est cette stratégie, rodée depuis le début des années 1960, qui fait le prix de ses plus célèbres doublages. Le timbre suraigüe de Mickey, la voix nasale de Jerry Lewis, ou le débit haletant de Jack Lemmon, assurent la réussite d’une démarche qu’on retrouve chez ses plus dignes héritiers (parmi lesquels Richard Darbois ou Christophe Lemoine).
L’idée est de familiariser le spectateur avec la chaleur particulière d’une voix et de faire de celle-ci un moyen d’amplifier l’imaginaire véhiculée par le personnage. Cet aspect est particulièrement sensible dans le domaine de l’animation où Carel s’imposa rapidement comme l’un des maîtres incontestés (Les 101 Dalmatiens ; Les Aristochats ; Robin des bois ; Les Aventures de Bernard et Bianca ; Taram et le chaudron magique, et bien sûr Astérix qu’il accompagna depuis sa première apparition au cinéma en 1976 juqu’à Astérix : Le Domaine des dieux en 2014).
Artiste de l’incarnation, le doubleur accompagna nos premiers émois cinéphiles lors des diffusions télévisées de classiques ou la vision de VHS (le DVD contribuera de son côté à réhabiliter le goût pour la VO).
La vision de Chaplin dans Le Dictateur, de Karl Malden dans Le Kid de Cincinnati, de Fred Astaire dans La Tour infernale, de Peter Sellers dans Docteur Folamour ou La Panthère rose, de Peter Ustinov dans Spartacus et Mort sur le Nil, nous rappelle à la mémoire ces voix plurielles portées par cet infatigable passeur et acteur unique en son genre.