Principalement connu pour son film Macadam à deux voies (1971), le réalisateur Monte Hellman nous a quittés ce mardi 20 avril 2021 après avoir fait une chute à son domicile. Sa disparition est aussi celle du chant d’une époque, véritable ode à l’indépendance.
D’abord monteur, Monte Hellman débute sa carrière de réalisateur en 1959 avec Beast from Haunted Cave, production de Roger Corman qui articule les codes du cinéma de genre (horreur, policier) avec plus ou moins de bonheur. Cinq ans plus tard, le cinéaste continue sa collaboration avec Corman en tournant coup sur coup Flight to Fury et Back Door to Hell. Ces deux films valent principalement le détour pour la présence de Jack Nicholson qui co-signe par ailleurs le scénario du premier et continuera à collaborer avec le réalisateur pour trois de ses films suivants.
De ces premières mises en scène, on retient la présence d’une forme documentaire qui influe à la fois sur l’approche narrative des films et le grain de l’image. Le côté artisanal qui définit alors le cinéma de Hellman sera en partie abandonné dans ses productions ultérieures.
En 1967, The Shooting marque un premier point de bascule dans sa filmographie. Profitant du cadre du western, le réalisateur développe un discours sur le temps à travers la représentation d’une errance sauvage à la symbolique parfois trop évidente. La présence de la couleur semble conférer une nouvelle orientation à sa réalisation. Tout en continuant à travailler le découpage, le cinéaste privilégie le plan fixe qui lui permet d’insister sur la composition de ses plans. Ce nouvel intérêt esthétique permet par ailleurs au cinéaste de se détourner des prérogatives du genre, substituant au mouvement condensé de l’action une forme impressionniste qui s’inscrit dans la lignée du cinéma d’auteur européen des années 1960 (on songe notamment à l’Antonioni de L’Avventura et du Désert rouge).
The Shooting se présente comme un ensemble de recherches dont la réussite sera pleinement concrétisée par Macadam à deux voies (1971) qui demeure à ce jour le film le plus connu, et sans doute le plus intéressant, du réalisateur. À l’instar de son contemporain Richard Sarafian, Hellman fait du road-movie une sorte de variation autour du western dont les valeurs sont subtilement subverties pour dresser un constat amer de l’Amérique contemporaine.
Prendre la route ne se présente plus comme un acte libérateur ou émancipateur mais comme la métaphore d’une existence aliénante. D’où l’importance de la répétition qui marque la structure du film ; d’où aussi l’extrême dilatation qui caractérise sa forme. La séquence finale voyant le héros augmenter sa vitesse jusqu’à l’embrasement de la pellicule du film rappelle tour à tour l’introduction de Persona (Ingmar Bergman, 1966) et les fins tragiques de Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967) et Easy Rider (Dennis Hopper et Peter Fonda, 1969).
Macadam à deux voies est son unique film de Hellman produit par une major hollywoodienne (la Universal). Si son film suivant, Cockfighter (1974), qui marque la reprise de sa collaboration avec Roger Corman, présente d’indéniables qualités, celles-ci demeurent malgré tout bien en-deçà de son unique chef-d’œuvre.
Comme beaucoup de ses compagnons du Nouvel Hollywood, Hellman peinera à s’adapter aux nouvelles prérogatives commerciales du cinéma américain des années 1980 et 1990. Iguana (1988) n’est appréciable qu’à travers certains instants fugaces, trop peu nombreux pour sauver l’ensemble du film, tandis que Douce nuit, sanglante nuit 3 (1989) semblait définitivement enterrer la carrière du réalisateur.
La manière de Hellman survivra malgré tout par sa participation au film à sketches Trapped Ashes (2006) puis avec la réalisation de son dernier long métrage, Road to Nowhere (2011). Sorte de testament cinématographique, le film permet à Hellman de prolonger son goût pour la mise en abyme et l’atmosphère crépusculaire qui caractérisaient ses productions des années 1960 et 1970. Cet ultime geste de survivance permit surtout de se rappeler l’importance, relative mais réelle, tenue par ce réalisateur dans l’Histoire du cinéma américain.