Synopsis : The Father raconte la trajectoire intérieure d’un homme de 81 ans, Anthony, dont la réalité se brise peu à peu sous nos yeux. Mais c’est aussi l’histoire d’Anne, sa fille, qui tente de l’accompagner dans un labyrinthe de questions sans réponses.
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En choisissant d’adapter sa propre pièce pour la réalisation de son premier long métrage, le dramaturge français Florian Zeller prenait un double-risque. D’abord, celui d’amoindrir le propos de son matériau d’origine. Ensuite, celui d’aller à l’encontre des spécificités de son nouveau médium. On revient ici à la vieille discussion concernant la probité du passage de l’œuvre théâtrale vers le grand écran. La transposition peut faire des merveilles lorsque les deux dispositifs parviennent à s’enrichir l’un et l’autre, mais peut aussi sombrer dans les méandres d’une hybridation pauvrement abâtardie, les faiblesses d’une disciplines encourageant celles de la seconde. L’intelligence de Zeller est d’être parvenu à se concentrer sur les exigences et les possibilités imposées et permises par le cinéma. Son récit, coscénarisé par Zeller et Christopher Hampton, sacré par un Oscar et un BAFTA, qui narre la dislocation de la mémoire d’un vieil homme atteint de la maladie d’Alzheimer, trouve ainsi une nouvelle force par le recours au point de vue subjectif. C’est lui qui structure l’ensemble du film multirécompensé, troublant l’esprit du spectateur par la multiplication d’ellipses, de répétitions et de digressions. L’unité spatio-temporelle de la scène de théâtre s’approfondit ainsi des potentialités du montage qui désoriente délibérément le public pour mieux lui faire épouser le regard du principal protagoniste. Cette idée, dont la progression du film ne cesse d’assurer la viabilité, reste malgré sujette à quelques écarts. Soucieux de conserver le cadre intimiste de son drame, Zeller a la fâcheuse habitude de privilégier le gros plan.
Si cette échelle de plans favorise évidemment la proximité avec le personnage, et permet en outre d’exprimer l’impression d’enfermement qui finit par l’habiter tout à fait, le procédé a parfois tendance à verser dans une sorte d’exhibitionnisme malaisant. Là où la scène théâtrale maintient une nécessaire distance qui dilue naturellement le pathos, le cinéma impose une exposition franche à laquelle il est presque impossible d’échapper sinon par le recours à certaines techniques (le hors-champ, l’inversion des points de vue) dont l’efficacité relève principalement de la maîtrise dont fait montre le cinéaste.
Zeller choisit de s’en passer et fait ainsi le choix de la représentation frontale. Si l’épanchement qui en découle a par moments le tort de minimiser l’efficience du scénario, le réalisateur fait montre d’une certaine franchise qui lui permet de valoriser la fibre empathique de son film. Certes, The Father a parfois tendance à emprunter un peu facilement la voie du symbolique (la statue au crâne tronqué), mais on reste marqué par la beauté tranquille de la photographie de Ben Smithard et la finesse de la bande musicale composée par Ludovico Einaudi.
Le dispositif de Zeller a par ailleurs la qualité de parfaitement servir l’objet premier du drame : les acteurs, ou plutôt l’acteur. Récompensé par un Oscar et un BAFTA, Anthony Hopkins fait de l’ensemble de son interprétation un moment de bravoure à part entière. De la rage au déni, de la lucidité à la tristesse, l’acteur incarne l’émotivité changeante de son personnage à travers l’adoption de postures troublantes de sincérité. Sa démarche légèrement voûtée exprime une faiblesse soudain remplacée par l’expressivité sadique du regard et la volubilité de sa gestuelle. Mais c’est d’abord l’imprécision qui constitue son principal registre de jeu. Amorçant un geste avant de l’interrompre, fixant un point du cadre puis laissant ses yeux se perdre sur le rivage d’images disparues, Hopkins exprime cet état où l’esprit trébuche sur le fil suspendu de ses pensées.
Le film de Zeller lui permet ainsi de prolonger son approche habituelle tout en l’enrichissant d’une valeur nouvelle. C’est à nouveau la régression qui détermine l’organisation de son interprétation mais qui s’oriente moins vers le primitivisme de l’animal que vers la sensibilité nue d’une humanité écorchée vive.
- THE FATHER
- Date de sortie : 26 mai 2021
- Réalisateur : Florian Zeller
- Avec : Anthony Hopkins, Olivia Colman, Rufus Sewell, Imogen Poots, Olivia Williams, Mark Gatiss, Ayesha Dharker, Evie Wray, Roman Zeller, Scott Mullins
- Scénario : Florian Zeller et Christopher Hampton (adapté de la pièce Le Père de Florian Zeller)
- Producteurs : Philippe Carcassonne, Simon Friend, Jean-Louis Livi, David Parfitt
- Photographie : Ben Smithard
- Montage : Yorgos Lamprinos
- Costume : Anna Robbins
- Décors : Peter Francis, Cathy Featherstone
- Coiffeur et Maquilleur : Nadia Stacey
- Musique : Ludovico Einaudi
- Distribution : Orange Studio / UGC Distribution
- Durée : 1 h 38