Synopsis : Dans la ville frontière de Samurai Town, un criminel sort de prison à la demande du Gouverneur dont la petite fille a disparu dans un univers surnaturel appelé « le Ghostland ». S’il parvient à la sauver, il sera libre. Parti à la recherche de la jeune femme et poursuivi par de mystérieux revenants, il va également suivre son propre chemin vers la rédemption.
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Depuis plusieurs années maintenant, l’œuvre de Nicolas Cage se confond avec celles de ces réalisateurs de série Z des années 1990 qui, à force de voir leurs films relégués aux fonds des bacs vidéos, avaient fini par acquérir une certaine notoriété dans les cercles cinéphiles. Il faut donc féliciter l’initiative de ces éditeurs qui nous permettent de découvrir en France les dernières incartades d’un acteur qui cultive sciemment son côté déjanté à travers des rôles et des collaborations définitivement en dehors des clous. Après Pig (Michael Sarnoski, 2021) qui voyait Cage prêter ses traits à un ermite parti à la recherche de son cochon truffier, c’est celui d’un criminel en quête d’une jeune femme perdue dans les limbes d’un monde parallèle que Prisoners of the Ghostland lui propose d’incarner. À la réalisation, le japonais Sion Sono partage avec Cage le statut d’artiste inclassable. Découvert grâce à Suicide Club (2001), le cinéaste japonais n’a cessé d’approfondir un style à la croisée de l’excès et de la subversion, hystérisant ses effets pour mieux assurer le caractère malaisant de ses univers. Cette démarche empêche de cerner avec exactitude les intentions de Sono, une désorientation qui fait le premier intérêt de Prisoners of the Ghostland. Entre humour et violence, temps morts et déferlement d’action, sur-dramatisation des ralentis et dynamisme du montage en cuts, le film fait du non-rythme la matière de son drame. Cette exubérance qui caractérise à la fois son récit, ses décors et sa composition de l’image laisse le champ libre à Cage en lui permettant d’approfondir encore un peu plus son goût pour le bizarre.
Prisoners of the Ghostland relance ainsi le fameux débat sur l’acteur. Vrai artiste ou simple histrion en panne d’inspiration ? Cage semble paradoxalement s’orienter vers le mutisme au fur et à mesure que ses films se font plus excessifs (Pig donc mais aussi Mandy [Panos Cosmatos, 2018], autre grand film barré aux saveurs de psychotropes). Inutile de surcharger la tonalité d’une œuvre déjà saturée d’invraisemblances a sans doute pensé Cage, un choix aussi intelligent que subtile qui permet à la star d’apporter un supplément de nuances à la mise en scène foisonnante (de richesses comme de pauvretés) de Sono.
Entre le western et la fantasy, la culture orientale et l’imaginaire de l’occident, les chevaliers grotesques et les geishas en délire, le spectateur se perd rapidement mais peut se raccrocher à la barbiche de Cage pour reprendre pied avec la réalité. La fébrilité qui agite son visage, sa démarche lourde et la raideur de ses membres qui s’allègent soudain dans l’esquisse d’un pas de danse nous rappellent que Prisoners of the Ghostland s’adresse d’abord et principalement aux inconditionnels de l’acteur.
Si c’est par le personnage de Cage que nous pénétrons dans la folie de l’outre-monde décrit par Sono, c’est aussi par son interprétation que l’on apprécie davantage les libertés prises à l’égard du vraisemblable. L’étonnement et l’exaltation qui traversent son regard, le désarroi qui s’imprime sur ses traits, la lassitude puis l’énervement qui habitent progressivement ses gestes sont aussi les nôtres.
Le film de Sono peut alors se vivre (plutôt que se comprendre) comme une expérience programmatique. La question du passage y joue un rôle essentiel, constituant l’objet premier de la quête du personnage ainsi que l’enjeu principal de la mise en scène. Poussé à son point culminant, l’absurde dépasse les limites du registre pour s’affirmer comme la mécanique centrale d’une œuvre dépassée par ses excès et hantée par le spectre de sa propre destruction. Vêtu d’une combinaison sur laquelle sont attachées des boules explosives s’enclenchant dès que ses émotions deviennent trop puissantes, le corps de Cage part progressivement en miettes, recouvrant le chemin sablonneux des lambeaux sa chair.
La présence de l’acteur se constitue alors comme l’ultime et nécessaire limite à un film définitivement perdu dans le terrier du lapin blanc. C’est dans cette perspective que doit s’apprécier la pataphysique acidulée de Prisoners of the Ghostland et que le film de Sono parvient à dépasser son image de noble nanar. À savourer en attendant la prochaine folie de Nicolas Cage.
- PRISONERS OF THE GHOSTLAND
- Combo Blu-ray et DVD
- Sortie : 23 février 2022
- Réalisation : Sion Sono
- Avec : Nicolas Cage, Sofia Boutella, Nick Cassavetes, Bill Moseley, Tak Sakaguchi, Young Dais, Charles Glover, Tetsu Watanabe, Takato Yonemoto, Shin Shimizu, Mattew Chozick
- Scénario : Aaron Hendry et Reza Sixo Safai
- Production : Nate Bolotin, Michael Mendelsohn, Ko Mori, Laura Rister
- Photographie : Shôhei Tanikawa
- Montage : Taylor Levy
- Musique : Joseph Trapanese
- Décors : Toshihiro Isomi
- Costumes : Chieko Matsumoto
- Éditions : M6 Vidéo
- Durée : 1 h 43