Synopsis : À la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12.
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La nuit du 12 est un anti-film policier, en ce sens que l’enquête qu’il suit est annoncée d’emblée comme vouée à l’échec. L’absence de dénouement, qui va donc avec l’absence de coupable, amène une idée directrice : tout le monde peut avoir commis le crime, et surtout les hommes. Les femmes sont les victimes, dans un monde majoritairement masculin, d’un dysfonctionnement entre les genres. Elles sont toujours seules, interrogées par des policiers ou avec leur mari. L’unique scène de sororité est celle qui précède le meurtre, ce qui aurait suffi à la désamorcer, mais les filles y parlent en plus du petit-ami de la future victime, Wesley. Même absent, le masculin pèse. Ensuite, on ne verra plus qu’eux. Enquêteurs et suspects ne sont que des hommes. Dominik Moll est animé par un goût du prosaïque, de l’évidence rappelée : les imprimantes cassent, les légistes peuvent se tromper de sortie d’autoroute, les budgets municipaux ne permettent pas de financer la vidéosurveillance, et les policiers sont des hommes. Des hommes sans femmes chargés d’enquêter sur des hommes qui assassinent des femmes. La frontière est clairement définie, et plusieurs dialogues s’attèlent à la rendre infranchissable. Dans les forces de l’ordre, le mariage est inenvisageable. On se moque d’une nouvelle recrue qui y croit encore. Marceau, un flic incarné par un Bouli Lanners désabusé, observe son couple se fracturer. Quant au capitaine, il est dépossédé de ses attributs masculins. Amorphe, il parle d’une voix monocorde et ne semble pas pouvoir être attiré par les femmes. Lorsqu’il dit à une juge d’instruction qu’il pourrait tomber amoureux d’elle, la plaisanterie est sans équivoque. Quelque chose s’est cassé.
Le projet du film n’est pas naïvement de reconstruire le lien, mais d’observer l’étendue des dégâts. D’ausculter la banalité du mal, en quelque sorte. Tous les hommes interrogés ressemblent à de potentiels meurtriers. Ils sont violents, arrogants, dérangés ou insensibles. Même le père de la victime connaît mal sa fille, sait à peine aligner deux adjectifs pour la décrire. D’un plan fixe à l’autre, les témoignages ne sont accompagnés que d’un silence oppressant (jusqu’à un rap qui doit se faire sans beat). La simplicité glacée de la mise en scène surligne une noirceur commune.
Plus encore que dans ce dessin d’une humanité divisée en deux, la force du film réside dans l’ambiguïté du portrait de la victime. L’enquête révèle progressivement que Clara couchait avec de nombreux hommes, tous peu recommandables. D’abord ridiculisée par la vidéo niaise qu’elle tourne en sortant de chez son amie, elle s’avère surtout courir consciemment une série de risques inutiles. La nuit du 12 tente donc de provoquer son audience, de lui faire penser qu’elle « l’avait bien cherché ». Et dès que la pensée se manifeste, il s’empresse de la réprimander, de défendre la jeune femme par le biais des discours de ses personnages.
Si Clara ne sortait qu’avec des hommes discutables, c’est qu’il n’y en a pas d’autres, semble nous dire le film. La seule alternative aux dangereux seraient ceux désemparés, comme les policiers. L’approche évite pourtant habilement le manichéisme facile, d’abord en opposant les hommes entre eux, mais aussi parce qu’une fois que les femmes prennent en charge l’enquête, elles échouent aussi. Plus qu’une lutte, il s’agit de raconter plusieurs malaises : celui du lien poisseux entre les genres, mais aussi celui d’un crime devenu traumatique, ou encore d’une administration en déliquescence. Face à ce monde qui s’effondre (ou qui a toujours été effondré), deux solutions se profilent : la féminisation du métier et la fuite vers la nature. Les deux tiennent à différentes formes d’abandon, mais servent surtout à ouvrir d’autres d’horizons.Â
Joffrey Liagre
- LA NUIT DU 12
- Sortie salles : 13 juillet 2022
- Réalisation : Dominik Moll
- Avec : Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi, Johann Dionnet, Thibaut Evrard, Julien Frison, Paul Jeanson, Mouna Soualem, Pauline Serieys, Lula Cotton-Frapier
- Scénario : Gilles Marchand, Dominik Moll
- Production :Â Caroline Benjo, Barbara Letellier, Carole Scotta
- Photographie :Â Patrick Ghiringhelli
- Montage :Â Laurent Rouan
- Décors : Léa Alric
- Costumes : Dorothée Guiraud
- Musique :Â Olivier Marguerit
- Distribution :Â Haut et Court
- Durée : 1 h 55