Synopsis : Evelyn Wang est à bout : elle ne comprend plus sa famille, son travail et croule sous les impôts… Soudain, elle se retrouve plongée dans le multivers, des mondes parallèles où elle explore toutes les vies qu’elle aurait pu mener. Face à des forces obscures, elle seule peut sauver le monde mais aussi préserver la chose la plus précieuse : sa famille.
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Dans Doctor Strange in the multiverse of madness, lorsque Strange et Captain America voyagent ensemble à travers le multivers pour la première fois, ils passent par des dizaines de dimensions différentes, chacune ayant son esthétique propre. Si le film de Sam Raimi s’attache à un unique univers de science-fiction et manque le potentiel offert par cette courte séquence, le pari d’Everything Everywhere All at once est de rattraper ce manquement, en tirant pleinement parti des potentialités offertes par ces destins parallèles. D’abord terre-à-terre (l’introduction porte sur un recouvrement de dette et des dissensions familiales), le film accumule progressivement les strates narratives, hâtant son rythme tandis que les dimensions se superposent, jusqu’à atteindre dans son dernier segment une cadence frénétique. Ce déchaînement boulimique est celui d’une mise en scène qui considère que le divertissement passe avant tout par la surprise. Il s’écoule rarement plus de cinq secondes sans qu’un événement imprévisible ne vienne bouleverser le déroulement d’une séquence. En effet, le saut entre chaque dimension nécessite de commettre un acte improbable, prétexte de petit malin permettant aux réalisateurs de justifier tout et n’importe quoi : moins une action a de sens, plus elle semble logique.
Ce concept farfelu, dans la lignée du bateau-humain propulsé par les pets de Swiss Army Man, résume assez bien l’ambiguïté d’un style qui ne laisse jamais à son audience le temps de se demander si le spectacle proposé est brillant ou idiot. Il est sans doute autant l’un que l’autre. Alors que son protagoniste principal est une mère de plus de cinquante ans, l’intrigue centrale a des airs de voyage initiatique Pixar (accepter ses échecs, renouer les liens familiaux, découvrir le pouvoir de l’amour). Une cinéphilie sincère qui cite Matrix comme Wong Kar-Wai côtoie une forme ultra-parodique, incapable de se défaire de son second degré.
Bien que les nombreux combats soient directement ridiculisés par les gestes improbables nécessaires à leur engagement, ils sont aussi plus réussis que ceux des blockbusters hollywoodiens modernes. Règne donc dans Everything Everywhere All at once une insolence d’élève surdoué, à la fois totalement immature et particulièrement talentueux. Le lieu central de l’intrigue est un bâtiment d’administration financière, où font progressivement intrusion toutes les autres dimensions : là aussi se déploie le plaisir impertinent de saccager un lieu quotidien et anxiogène à l’aide d’un fantastique délirant.
Cet assemblage protéiforme donne le sentiment d’assister à la forme finale, post-moderne, du divertissement, celle qui aurait avalé toutes les autres et qui se sentirait obliger, pour leur permettre de coexister, d’employer le ridicule comme liant. C’est le pari fou d’une génération qui a tout vu : tous les films, toutes leurs parodies, toutes leurs critiques, et qui voudrait tout condenser.
Dès lors, la simplicité enfantine du fil rouge prend son sens en tant que plus petit dénominateur commun à toutes les œuvres. Les Daniels construisent leur film en une série de prétextes (avec un tel concept, comment aurait-il pu en être autrement ?) qu’ils s’évertuent à faire disparaitre derrière la richesse de ce qu’ils en tirent. À la fois appliqué et désordonné, Everything Everywhere All at once porte en lui le paradoxe d’une époque qui a cessé de croire aux grands divertissements à force d’en voir, mais qui ne peut s’empêcher d’y revenir encore et encore.
Joffrey Liagre
- EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE
- Sortie salles : 31 août 2022
- Réalisation : Daniel Kwan & Daniel Scheinert
- Avec : Michelle Yeoh, Stephanie Hsu, Ke Huy Quan, James Hong, Jamie Lee Curtis, Tallie Medel, Jenny Slate, Harry Shum Jr., Randy Newman, Biff Wiff
- Scénario : Daniel Kwan & Daniel Scheinert
- Production : Anthony Russo, Joe Russo, Mike Larocca, Jonathan Wang
- Photographie : Larkin Seiple
- Montage : Paul Rogers
- Décors : Kelsi Ephraim
- Costumes : Shirley Kurata
- Musique : Son Lux
- Distribution : Originals Factory
- Durée : 2 h 19