Synopsis : Milieu des années 1980, le quartier du Queens à New York est sous l’hégémonie du promoteur immobilier Fred Trump, père de Donald Trump, le futur président des États-Unis. Un adolescent étudie au sein du lycée de Kew-Forest School dont le père Trump siège au conseil d’administration de l’école et dont Donald Trump est un ancien élève.
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À quel Armageddon fait référence le titre du nouveau film de James Gray ? Pas celui, littéral, de la fin du monde. Si quelque chose prend fin, c’est l’innocence du jeune Paul Graff, confronté aux compromis glacés d’adultes, prêts à sacrifier les valeurs humaines sur l’autel de l’individualisme. Loin de cette tendance récente à la fétichisation nostalgique des années 80, Armageddon Time dépeint un New York terne et crasseux. Entre racisme, lutte des classes et propagation du mythe méritocratique, l’époque y est analysée comme point de bascule de la société américaine, chronique de l’abandon d’une génération corrompue par le pragmatisme. La distance entre père et fils, thème central de l’œuvre du cinéaste, est ici repris avec plus d’ambivalence que dans ses deux précédents films. Le père, incarné par Jeremy Strong, est bien présent physiquement au domicile familial, mais absent en tant que père. À l’exception d’une scène où il est mandaté par sa femme pour battre Paul à coup de ceinture, sa compagnie est superficielle, autoritaire mais lointaine. L’éducation du jeune garçon est divisée entre sa mère, qui s’inquiète, et son grand-père, qui l’écoute et lui parle. Cette dualité se diffuse au sein des nombreuses luttes qui jalonnent un film où l’adolescence est envisagée comme l’âge de la découverte du choix et, par conséquent, du conflit : école privée contre publique, noirs contre blancs, la liberté de la cabane du jardin contre la rigueur de la maison, les échappées illicites contre les cours, etc.
Cette introduction au choix est accompagnée d’une déception, la réalisation de son illusion. Car toutes les décisions de Paul finissent inéluctablement par être ramenées sous le joug des adultes, qui s’empressent de les annuler. Il ne peut ni désigner ses amis, ni son établissement scolaire, ni les projets qu’il mènera en classe : les professeurs ne cessent de lui rappeler qu’il est hors-sujet, quelle que ce soit la qualité de ses productions artistiques. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que le film se construise comme un enchaînement de fuites, toutes vouées à l’échec, mais qui trouvent justement leur beauté dans ce rêve chimérique d’émancipation.
Dans ce quartier désabusé où Maryanne Trump Barry délivre des discours grandiloquents sur la valeur travail et l’acharnement subsiste pourtant un personnage touchant, peut-être le plus beau de la carrière de James Gray. Aaron Graff, le grand-père de Paul, est campé par un Anthony Hopkins magistral. Compréhensif, généreux, il prend totalement en charge l’éducation de son petit-fils. C’est le seul adulte à réellement communiquer avec lui, là où les autres se contentent d’ordonner. En ce sens, le décollage de la fusée miniature qu’il lui offre est sans doute la séquence la plus émouvante d’Armageddon Time : la caméra, clouée au sol, laisse le jouet s’envoler hors du cadre en quelques secondes. Il n’y a pas de place dans le champ pour la réalisation des espoirs, seulement pour leur naissance déçue.
Mais là où l’incursion du réalisateur dans le cinéma social se distingue de ses collègues habitués du genre, c’est qu’il ne trouve aucun plaisir malsain dans la dépiction des horreurs systémiques du monde. Au contraire, tout son art consiste à insuffler un peu de vie, c’est-à -dire de désordre, dans cette mélancolie, pour que son audience entrevoit ce qui aurait pu avoir lieu si le tournant avait été négocié autrement.
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Joffrey Liagre
- ARMAGEDDON TIME
- Sortie salles :Â 9 novembre 2022
- Scénario et Réalisation : James Gray
- Avec : Anne Hathaway, Jessica Chastain, Anthony Hopkins, Jeremy Strong, Domenick Lombardozzi, Tovah Feldshuh, Banks Repeta, Marcia Jean Kurtz, Teddy Coluca, Jaylin Webb…
- Production :Â James Gray, Rodrigo Teixeira, Alan Terpins
- Photographie :Â Darius Khondji
- Montage :Â Scott Morris
- Décors : Marc Benacerraf
- Costumes : Anne Brenneke
- Musique :Â Christopher Spelman
- Distribution : Universal Pictures International France
- Durée : 1 h 55