Synopsis : Fin du XIXe siècle. Un jeune prêtre danois arrivé en Islande a pour mission de faire construire une église et de photographier la population au milieu de paysages inhospitaliers. Tandis qu’il s’acquitte de son devoir, une improbable histoire d’amour se développe en même temps qu’un violent conflit…
♥♥♥♥♥
En prenant comme point d’origine de son film une série de photographies de l’Islande datant du XIXème siècle, Hlynur Palmason risquait de s’empêtrer dans un statisme anti-cinématographique. Or, si Godland adhère effectivement à une forme picturale, notamment par son format 4:3 et ses plans très composés, il insuffle constamment du mouvement au sein de ses cadres. Récit d’un prêtre danois venu construire une église sur des terres inhospitalières, il troque le potentiel mystique de son contexte contre un ancrage profond à la nature, à la vie et aux gestes qui la composent. Éléments et animaux occupent donc une place prépondérante, toujours filmés avec une frontalité crue. On retient notamment l’éviscération d’un mouton, dont l’éboulement des organes rappelle de façon plus authentique encore les chirurgies des Crimes du Futur de David Cronenberg, lui aussi projeté au 75e Festival de Cannes. La division en deux parties est l’occasion d’un double voyage. Le premier, littéral, évoque Aguirre de Werner Herzog dans sa façon de confronter un groupe d’explorateurs à une nature aussi superbe que dangereuse. Le second, métaphorique, compose un jeu de contraste entre la construction de l’église et la descente infernale du prêtre soumis à ses désirs. Toujours dans ce rapport à la nature, la jonction se fait sur un passage de la lave à l’eau, d’un volcan en éruption à des plans de fonds-marins, annonçant ainsi l’insidiosité des menaces à venir.
La lenteur austère est ainsi l’occasion de filmer la fureur comme la beauté des environnements, de grandes plaines plongées dans la brume à des traversées de rivière à l’issue fatale. Le paroxysme de cette union du funeste et du sublime est atteint lors de la putréfaction de deux cadavres isolés. Dans un time-lapse saccadé, Hlynur Palmason observe la disparition de la chair au cours du temps. Au sein d’un même plan se succèdent la pluie, la neige, le brouillard, le soleil, tandis que s’évanouit lentement le corps au centre du cadre. D’un seul paysage jaillissent mille images dissemblables.
La grande beauté de Godland réside là, dans sa manière d’opposer l’immensité d’une Islande éternelle à des vies éphémères. Seules les photographies subsistent, uniques vestiges de cette histoire oubliée : avant son générique, le film retrace à rebours tous les portraits capturés durant le voyage comme autant de souvenirs de ce qui est voué à prendre fin. Mais derrière ce triste destin se cache une série de séquences touchantes. Une légende racontée au coin du feu ou les facéties d’une enfant sur son cheval font régulièrement dévier le film de sa trajectoire et lui offrent d’émouvantes parenthèses.
C’est que, loin de se complaire dans la violence, Hlynur Palmason s’intéresse surtout à l’humain. La deuxième partie est tout entière consacrée à la vie d’une petite communauté. Un mariage vient par exemple accompagné de son lot de festivités, parmi lesquelles un tournoi de lutte qui tourne rapidement au comique. Agression et amour se côtoient constamment, faisant planer une constante ambiguïté. À l’image de cette barrière du langage, omniprésente entre les personnages, certaines choses demeurent insaisissables. Perdure par conséquent le mystère de cette terre fascinante où tout parait pouvoir être touché, la mousse recouvrant la roche, les fines couches de givre, ou bien le sang d’un crâne brisé s’écoulant dans un ruisseau.
Joffrey Liagre
- GODLAND (Vanskabte Land)
- Sortie salles : 21 décembre 2022
- Réalisation : Hlynur Palmason
- Avec : Ingvar Sigurdsson, Friðrik Friðriksson, Isar Svan Gautason, Ingimundur Grétarsson, Birta Gunnarsdottir, Hilmar Guðjonsson, Ida Mekkin Hlynsdottir, Snæbjörg Guðmundsdottir, Elliott Crosset Hove, Jacob Lohmann…
- Scénario : Hlynur Palmason
- Production : Eva Jakobsen, Mikkel Jersin, Katrin Pors
- Photographie : Maria Von Hausswolff
- Montage : Julius Krebs Damsbo
- Décors : Frosti Fridriksson
- Costumes : Nina Grønlund
- Musique : Alex Zhang Hungtai
- Distribution : Jour2fête
- Durée : 2 h 18