Synopsis : 1955. La ville d’Asteroid City, située dans désert américain, est célèbre pour son cratère dû à l’écrasement d’une météorite et pour sa proximité avec un centre d’essais nucléaires. La petite bourgade s’apprête à accueillir la convention Junior Stargazer. Celle-ci rassemble des élèves et parents de tout le pays pour une compétition érudite sur l’astronomie. Cela va être l’occasion pour les familles de s’amuser et profiter. Mais la convention va être perturbée par un évènement venu du ciel qui va notamment pousser les autorités à mettre la ville en quarantaine.
♥♥♥♥♥
Dans l’habituelle opposition entre le cinéma de grand public pur spectacle et le cinéma d’auteur empreint de thématiques fortes, Wes Anderson reste un cinéaste difficile à placer. Si son œuvre est incontestablement capable de traiter des sujets forts comme le deuil, la mélancolie, et le sens de la vie en général, ses obsessions formalistes lui ont valu de devenir un nom prisé par un public plus large que les cinéphiles endurcis. Cadres parfaitement travaillés, symétrie iconique, couleurs saturées, l’esthétique andersonienne est plus que jamais dans l’air du temps, si bien qu’il en devient même le premier réalisateur dont l’intelligence artificielle parvient à copier le style. Face à ce constat, et au vu des réactions plus que partagées qu’avait suscité The French Dispatch, le dernier long-métrage de Wes Anderson présenté à Cannes, la question se fait de plus en plus bruyante : qu’a-t-il donc à proposer, à part un dispositif de plus en plus visible au fil des films ? À bien des titres, Asteroid City rend la question encore plus brûlante, tant il est ce qu’on se représente de son cinéma. Et dans ce film, comme dans les précédents, son programme peut autant séduire qu’agacer : les couleurs saturées et pastels ont par exemple une beauté pop appréciable mais qui ne surprend pas beaucoup par rapport aux précédents films du réalisateur. Cette fois encore, la composition du cadre pour une image toujours obsessivement symétrique a quelque chose de satisfaisant, mais qui offre des mouvements toujours autant mécaniques, robotiques.
Et en ce qui concerne le casting, il y a autant de richesses que de limites. On apprécie de voir s’ajouter aux habituels Adrian Brody, Tilda Swinton ou encore le remarquable Jason Schwartzman des nouveaux venus comme Tom Hanks, Steve Carrell, ou bien Bryan Cranston et Scarlett Johansson, qui avaient déjà prêté leurs voix à des personnages de L’Île Aux Chiens. Des nouvelles têtes dans cet univers qui arrivent à en adopter les codes, notamment le rythme comique, et ce pour le meilleur comme pour le pire.
Pour le positif, on peut penser à cette beaucoup trop brève apparition de Margot Robbie, qui déploie une mélancolie dans son jeu qui convient autant à cet univers qu’elle est rare dans les rôles de l’actrice. Pour le négatif, on peut regretter la sous-exploitation de Steve Carrell, qui aurait pu tout autant briller que Jason Schwartzman dans le rôle d’Augie Steenbeck, mais ne joue qu’un manager de camping qui veille au confort de ses clients, le tout dans une interprétation manquant cruellement de l’émotion dont on sait pourtant l’acteur capable.
Pour autant, si le film a quelque chose du film à sketchs qu’était The French Dispatch, la narration reste chargée de sujets forts. Évidemment, dès le titre, l’affiche, et le synopsis, on est intrigué par ce premier pas de Wes Anderson dans la science-fiction, dans ce décor qui rappelle les vieux films qui s’interrogeaient sur la conquête spatiale et le nucléaire. Mais la quarantaine de la petite ville causée par la venue de l’alien nous renvoie aussi à notre histoire récente, celle du confinement de 2020.
On y retrouve des thématiques des deux époques, comme l’attente angoissée du public de solutions scientifiques qui n’arrivent pas aussi vite qu’on le souhaiterait, ou encore les mensonges gouvernementaux qu’un groupe de marginaux essaie de faire éclater au grand jour. La scène de dialogue entre Midge Campbell, actrice désabusée qui cherche désespérément le regard des autres, et Augie Steenbeck, photographe de guerre coincé dans un bungalow au milieu du désert, résonne tout particulièrement avec la façon dont l’ère moderne des réseaux sociaux s’est heurtée au Covid.
Loins des adultes désabusés, les personnages des enfants sont sans doute ceux qui s’en sortent le mieux au milieu de ce chaos. De jeux de mémoires pour surdoués à des plans pour rendre public les événements d’Asteroid City, ils représentent l’espoir et la foi toute enfantine que Wes Anderson conserve dans son art du récit et dans la fantaisie et l’évasion qu’il peut en tirer. Autres vecteurs du bonheur de l’enfance : les quelques incursions d’animation stop motion façon Fantastic Mr. Fox, que ce soit l’alien en lui-même ou plus simplement le ‘road runner’ qui apparaît çà et là, en clin d’œil au Bip Bip de Chuck Jones, influence revendiquée du cinéaste.
La force émotionnelle du film passe à la vitesse supérieure au vu de sa prémice narrative : en effet, Asteroid City n’est pas seulement le nom du film de Wes Anderson, mais aussi de la pièce de théâtre de Schubert Green (Adrian Brody) dont le film nous montre en parallèle la création, dans un élégant noir et blanc narré par Bryan Cranston. L’occasion pour Wes Anderson de traiter ce qui est la véritable problématique de son film : la quête de sens pour un auteur. Pourquoi raconter des histoires ? Quel sens leur donner ? Un début de réponse est esquissé par le personnage de Brody à celui de Schwartzman, même si on ne comprend pas le sens de l’histoire, il faut à tout prix continuer à la raconter.
Théotime Roux
- ASTEROID CITY
- Sortie salles : 21 juin 2023
- Réalisation : Wes Anderson
- Avec : Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Tom Hanks, Jeffrey Wright, Tilda Swinton, Bryan Cranston, Edward Norton, Adrien Brody, Liev Schreiber, Hope Davis, Steve Park, Rupert Friend, Maya Hawke, Steve Carrell, Matt Dillon, Hong Chau, Willem Dafoe, Margot Robbie, Jeff Goldblum
- Scénario : Wes Anderson
- Production : Wes Anderson, Jeremy Dawson, Steven Rales
- Photographie : Robert Yeoman
- Montage : Barney Pilling
- Décors : Adam Stockhausen
- Musique : Alexandre Desplat
- Distribution : Universal Pictures
- Durée : 1 h 44