Musique/ Dunkerque par Hans Zimmer : critique

Publié par Jérôme Nicod le 30 juillet 2017

Résumé : Au printemps 1940, près de 400 000 hommes sont pris au piège de l’étau allemand. Repliés sur les plages de Dunkerque, ils attendent, sous les feux ennemis, des secours qui n’arrivent pas. Désastre humain et militaire, l’évacuation paraît alors inconcevable. La réussite de Nolan doit beaucoup au travail musical signé Hans Zimmer, mais en fait une oeuvre collégiale, destinée à rendre chaque seconde du film plus dense, marque de fabrique d’un des cinéastes les plus rigoureux du cinéma américain actuel. Dans les bacs depuis le 21 juillet, édité par WaterTower Music.

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Dunkirk par Hans Zimmer - pochette

Dunkirk par Hans Zimmer – pochette

Dunkerque est une oeuvre à part dans le cinéma de guerre. Le long métrage cherche moins l’exactitude historique (qu’il respecte par ailleurs, mais sans contrepoint) que la gestion du temps qui devient compte à rebours au sein de trois dramatisations : sur terre, dans les mers et les airs. Le temps va à la vitesse de ceux qui se déplacent ; l’action sur la plage dure une semaine, en mer une journée et dans les airs une heure. Le passage d’un univers à l’autre et le rapport au temps semblent obséder le cinéaste, et Dunkerque pourrait passer pour la version réaliste d’Interstellar. Mais aussi, comme l’inverse de Lettres d’Iwo Jima, le chef-d’oeuvre de Clint Eastwood, qui obtenait l’émotion quasiment sans piste musicale. La musique de Dunkerque, ou son expression sonore, est présente dès la première minute et ne stoppe qu’à trois secondes du générique final, dans lequel elle reprend. Nolan utilise la musique comme les images, pour faciliter les passages entre les scènes. Elle remplace aussi les dialogues, relativement inexistants, ici les hommes sont seuls face au destin, ils parlent peu. Le film est quasiment muet. Les images de Nolan, dans un style expressionniste appuyé, ont besoin de la musique pour atteindre leur effet en 2017. Fritz Lang se contentait des images, autre époque. Les personnages ont été vidés de leur sens, une armée défaite de « zombies » attendant leur prochaine destination. L’adéquation entre le visage très expressif du jeune Français, maculé de crasse et de graisse, et la musique qui martèle le rythme incessant de la machine à broyer, est géniale. Vers la fin, les casques vides, échoués sur la plage comme une armée de bulots, achèvent de mettre en lumière l’expressionnisme allemand dans lequel Nolan a trouvé son inspiration visuelle. Crépusculaire, truffé de plans d’apocalypse, hallucinatoire, il fallait oser déguiser un hommage au cinéma muet allemand en blockbuster moderne, à l’aide de la musique de Hans Zimmer.

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Dunkerque - Christopher Nolan

Dunkerque – Christopher Nolan

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Comme la musique, la caméra est toujours en mouvement, hormis pour les plans du commandant Bolton (Kenneth Branagh), le seul homme immobile à l’écran. La musique pour autant ne cesse, et le coeur du commandant bat aussi vite que celui du simple soldat. C’est son point de vue qui change. Nolan s’intéresse à un moment, et non à la guerre dans son ampleur. Un des premiers plans filme la plage, en travelling avant pour suivre le jeune Tommy (Fionn Whitehead). Quelques minutes plus tard, la caméra recule, laissant apparaître deux poteaux latéraux qui, avec le mouvement de recul, se resserrent pour isoler au centre un tiers de la plage. Ce découpage de l’image par tiers signale à la fois le découpage mathématique en trois univers mais aussi un recentrage du point de vue, un fragment de ce qui s’est réellement passé sur cette plage il y a 77 ans. Ce recentrage est aussi musical. Non mélodique, sans doute moins facile d’écoute sans les images que les compositions habituelles du maître de la nappe sonore, Dunkerque est plus intègre, plus resserré et plus efficace que ses récentes compositions.

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Avec Nolan, son style trouve pleinement son sens, celui d’un travail davantage méthodique que mélodique, amplificateur du stress visuel du cinéaste. Nolan utilise généralement la musique en accentuation de ses plans et non pas pour illustrer ce que les images ne montrent pas. Mais il faut aussi reconnaître que la musique apporte parfois le contrepoint aux images. À un moment, la bande musicale est jouée à l’envers. À un autre, un brancard et un avion se déplacent de droite à gauche, à l’inverse du sens des aiguilles d’une montre, en train de repousser la mort pour quelques minutes encore. Pour le cinéaste, le compositeur participe à chaque plan, au même titre que le directeur de la photographie (Hoyte Van Hoytema). Chacun contribue à donner force et densité aux images. Le véritable talent de Nolan dépasse de loin celui de réalisateur ; il est le véritable et complet auteur de toutes les dimensions de ses films.

 

 

Dunkerque - Christopher Nolan

Dunkerque – Christopher Nolan

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Il manque Nolan comme co-compositeur, dans la mesure où il est à l’initiative du style millimétré, du rythme mathématique et de la volonté de gérer le climat sonore de son oeuvre et associant la précision militaire des images à la bande sonore. C’est lui qui a soufflé la géniale introduction du Nimrod de Sir Edward Elgar dans la partition, notamment le dernier tiers de Home. Pour déconstruire cet hymne émotionnel, Zimmer a fait appel à son complice Benjamin Wallfisch. Le résultat final, en collaboration avec Nolan lui-même, apporte une réelle dimension émotionnelle mais sans outrance ni cliché. On entend des fragmentations d’Elgar tout au long de l’album, ce qui pourrait offrir à Zimmer une nomination aux Oscars (oeuvre collective et source préexistante tout au long de l’album, cf. tracklist ci-dessous). C’est sans doute la raison pour laquelle Zimmer et Nolan s’entendent si bien. L’ensemble de l’album est en mode fusionnel. L’album s’écoute comme une suite musicale, sans couleur, fataliste comme peut l’être le destin de ceux qui partent mourrir au combat. De cette fatalité naît l’émotion, qui augmente à chaque nouvelle écoute de l’album.

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Un album atonal, répétitif, séquencé, confiné, claustrophobe, marathonien. Les percussions sont très réussies dans leur variété, tour à tour pulsations, mitraillettes, balles. Le rythme provient aussi d’une lancinante sirène, qui peut aussi, dans sa substance, passer pour une terreur inéluctable. À ce sujet, Supermarine est un très bel exemple de création d’angoisse. The Tide a le goût de l’aube, du calme avant la tempête, que Regimental Brothers va inaugurer. Les sirènes sont de retour, la rythmique est sans fin. Elles reviennent ensuite dans The Oil et finissent par finalement constituer une phrase qui façonne la partition et lui donne sa cohérence. Les 59 minutes de l’album ne représentent que la moitié de la musique entendue à l’écran. La meilleure façon de l’apprécier est donc d’aller en salles (de toute façon), pour profiter du mixage où bombes et mitraillettes achèvent de marteler le rythme de cette oeuvre inédite et, au final, gonflée.

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Dunrkirk par Hans Zimmer - pochetteDunkerque par Hans Zimmer

Durée : 59 minutes

  1. The Mole (Hans Zimmer, Sir Edward Elgar) 5:35
  2. We Need Our Army Back (Hans Zimmer) 6:28
  3. Shivering Soldier (Hans Zimmer) 2:52
  4. Supermarine (Hans Zimmer) 8:03
  5. The Tide (Hans Zimmer, Sir Edward Elgar) 3:48
  6. Regimental Brothers (Hans Zimmer, Lorne Balfe, Sir Edward Elgar) 5:04
  7. Impulse (Hans Zimmer) 2:36
  8. Home (Hans Zimmer, Benjamin Wallfisch, Sir Edward Elgar) 6:02
  9. The Oil (Hans Zimmer) 6:10
  10. Variation 15 (Dunkirk) (Benjamin Wallfisch, Hans Zimmer, Sir Edward Elgar) 5:51
  11. End Titles (Hans Zimmer, Lorne Balfe, Benjamin Wallfisch, Sir Edward Elgar) 7:12

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