Gilles Penso, auteur d’un livre sur la stop motion, réalisateur et journaliste à L’Ecran Fantastique entre autres, nous plonge dans le parcours de son premier long-métrage, encore en phase de négociations de droits, sur l’un des pionniers du cinéma fantastique qui a influencé les plus grands réalisateurs du monde, réunis dans ‘Ray Harryhausen, le Titan des Effets Spéciaux’, véritable documentaire d’anthologie projeté au PIFFF 2011.
CineChronicle : A quel moment as-tu découvert Ray Harryhausen ?
Gilles Penso : Vers 8 ans. C’était avec Jason et les Argonautes diffusé à la télévision pendant les vacances d’été. Je ne savais pas ce que je regardais, j’avais raté le générique. Le film ne me passionnait pas plus que cela jusqu’au moment où est apparue la statue géante immobile (Talos) qui tourne la tête vers les personnages humains, descend de son piédestal et les poursuit. Le film a pris soudain une autre dimension et je suis resté accroché jusqu’au bout. Ce fut mon premier contact avec Ray Harryhausen. J’ai vu également à la même période L’île mystérieuse et Le Septième Voyage de Sinbad. En grandissant, je me suis intéressé au cinéma et aux effets spéciaux en partie grâce à lui, mais aussi au travers de King Kong et du numéro 12 de L’Ecran Fantastique commandé par mes parents et dans lequel figurait une longue interview de Ray Harryhausen. J’ai découvert plus tard pendant mon adolescence Le Choc des Titans sur grand écran et via l’émission Temps X des frères Bogdanoff diffusée sur TF1 où Alain Carrazé, devenu aujourd’hui le spécialiste des séries TV, parlait de Harryhausen autour du film. Je me suis alors réellement passionné pour cet homme et son travail.
CC : Comment est né le projet ?
GP : J’ai rencontré professionnellement Ray Harryhausen à deux reprises. La première fois, je suis allé chez lui en Angleterre en compagnie d’Alain Biélik, rédacteur en chef de SFX, magazine pour lequel je travaillais à l’époque. Nous nous intéressions aux spécialistes des effets spéciaux du Royaume Uni et nous avons fait une escale chez lui et réalisé une première interview. Je suis retourné le voir plus tard l’interviewer pour le livre que j’étais en train d’écrire sur l’animation en stop motion et dans lequel figure entre autres un portrait de Willis O’Brien et de nombreux entretiens avec des praticiens de l’image par image, qui sont en quelque sorte ses fils spirituels. Cet ouvrage a donc été ma première étape avant le documentaire. S’il existait déjà un reportage d’une heure sous forme d’un bonus de plusieurs DVD édités chez Columbia et intitulé Les Chroniques de Ray Harryhausen, étrangement aucun vrai documentaire n’avait été fait sur le personnage. J’ai voulu être celui qui le réalise. A l’époque, j’avais une petite structure de production Cosmic Peanuts avec laquelle je produisais et réalisais des émissions pour Disney Channel. J’ai pris un peu d’argent sur le budget de l’agence et avec un ingénieur son et un cadreur, nous nous sommes rendus à Londres pour mettre en route le projet. En partie grâce à mon livre, il a accepté volontiers l’interview.
CC : Quelle était ton idée de départ ?
GP : J’avais d’abord envisagé un 52 minutes pour la télévision, avant que cela ne devienne un long-métrage. Mais dès le début en 2004, je voulais connaître ses sources d’inspiration, son regard sur le fantastique et qu’il nous parle de son influence sur le cinéma d’aujourd’hui. J’ai été conforté dans cette idée au fur et à mesure de l’avancée du projet. J’ai donc orienté l’interview vers les films d’autres réalisateurs et, sur la visite de Steven Spielberg qui souhaitait avoir son avis sur les premiers tests en images de synthèse des dinosaures pour Jurassic Park, comme s’il avait besoin de l’aval de son mentor. Je voulais qu’il parle des soucoupes volantes de Mars Attacks! de Tim Burton qui sont les copies conformes de celles des Soucoupes volantes attaquent ou encore de son sentiment par rapport à l’image de synthèse. Il est devenu clair qu’une partie rétrospective devait représenter le fondement du documentaire en respectant la chronologie de son parcours, mais il était aussi important d’intégrer, comme des flash forward, des extraits de films des réalisateurs d’aujourd’hui qu’il a influencé : Steven Spielberg avec Jurassic Park ou encore James Cameron avec Avatar. Le documentaire a donc une double narration voulue dès le départ.
CC : Quelles difficultés as-tu rencontré sur le projet ?
GP : Je ne savais pas vraiment quoi faire avec cette interview fleuve et je ne pensais pas du tout avoir la possibilité de rencontrer Peter Jackson, Spielberg, Cameron et les autres. J’ai donc décidé de transformer l’interview en un promo reel de 8-10 minutes, dans lequel était intégrés une vignette avec une photo, des extraits et une citation de chaque réalisateur, pour illustrer et comparer à la fois les propos de Ray Harryhausen et les résultats de son influence. Pour participer au financement du projet j’ai pris contact avec Canal+, qui m’a orienté vers Jean-Pierre Dionnet alors en préparation d’un Cinéma de Quartier consacré à Harryhausen. Coup de chance. Malheureusement le documentaire était encore en chantier et lui avait besoin du film pour le mois suivant. Le projet a été mis en stand-by et j’ai continué mon travail quotidien tout en cherchant un producteur, ma structure de production ayant capoté. J’améliorais le scénario dès que j’avais une nouvelle idée, mais il devenait impératif d’obtenir les interviews des réalisateurs pour évoquer Harryhausen avec l’optique d’actualiser le documentaire.
CC : Quel a été le phénomène déclencheur pour que les premiers grands noms s’associent au projet ?
GP : Le projet a redémarré avec l’arrivée d’Alexandre Poncet et l’interview de John Landis lors du festival du film fantastique de Gerardmer en 2009, où il était l’invité d’honneur. Pendant la conférence de presse, j’ai posé une question directement liée à mon projet, quitte à ennuyer tout le monde. Et sur le ‘Pourquoi Ray Harryhausen est-il si important à vos yeux ?’, Landis est parti dans une tirade d’un quart d’heure. C’était génial. Seul bémol, l’entretien était tourné avec une petite caméra DV. Donc son et image très moyens. Au cours du festival j’ai croisé Alexandre Poncet, que je connaissais déjà par Mad Movies et, je savais qu’il venait de créer sa structure de production via son site Frenetic Arts sans avoir encore de projets concrets. Je lui ai montré le promo réel qui l’a enthousiasmé et, l’interview de John Landis. Je guettais dorénavant la venue des réalisateurs en promotion, susceptibles de me fournir des éléments sur Harryhausen. L’idée l’a tout de suite passionné même s’il ne connaissait pas le personnage aussi bien que moi et il m’a proposé de produire le documentaire. A trois heures du matin on a décidé de se lancer ensemble et je n’ai jamais regretté ma décision. Alexandre s’est surpassé pour concrétiser ce film. Il a également influé sur l’écriture et sur le montage.
CC : Comment s’est construit le scénario et monté le budget ?
GP : Le documentaire s’est conçu complètement sans moyen et au jour le jour. Chaque interview a été réalisée de manière sauvage dans des conférences de presse, des festivals ou encore via L’Ecran Fantastique. J’ai ainsi pu obtenir les interventions de James Cameron (Avatar), Jean-Pierre Jeunet (Micmacs à tire-larigot), Vincenzo Natali (Splice) et Peter Jackson (Lovely Bones), Henry Selick, Terry Gilliam, avec ou sans le consentement des attachés de presse, qui sont bien sûr remerciés au générique. Le projet prenait vraiment forme. Si le scénario n’était pas réellement écrit sur papier, tout était dans ma tête, bien chapitré et j’avais déjà trouvé le gimmick des noms avec le petit logo expliquant qui est qui. Il n’était pas prévisible de savoir qu’un film comme Sinbad et l’œil du Tigre pourrait devenir le support pour évoquer la différence entre l’image de synthèse et l’animation en volume. Le scénario s’est construit uniquement sur les éléments donnés par les intervenants. Il devenait donc intéressant de comparer Le Monstre des Temps Perdus à Jurassic Park et Avatar, ou encore le film avec la pieuvre géante du Monstre vient de la Mer avec Spider-Man 2 et Le Seigneur des Anneaux. Ainsi le traitement du documentaire ne présente pas le côté mécanique d’une narration chronologique, que j’ai tout de même conservée en chapitrant film par film et par dates. Nous avons réussi avec Alexandre à rassembler une heure avec l’ensemble des interviews. Il était temps de reprendre contact officiellement avec Ray Harryhausen et de lui montrer l’avancée de notre projet.
CC : A quel moment est entré en jeu la Fondation Ray & Diana Harryhausen ?
GP : En ce qui me concerne, je devais me concentrer sur la partie artistique. Le travail d’Alexandre portait quant à lui sur les négociations et l’organisation et le projet a bénéficié du facteur chance. Alors qu’il devait interviewer Chris Wallas, le créateur des effets spéciaux des Gremlins, je lui ai suggéré de l’intégrer au projet parmi les interviewés. Wallas a donné son accord mais nous a également proposé de prendre contact avec Randy Cook, ancien animateur en stop motion fan de Ray Harryhausen, qui s’est tourné maintenant vers l’image de synthèse et a travaillé sur Le Seigneur des Anneaux. Parallèlement, Chris Wallas a contacté Randy Cook qui nous a mis en liaison avec la Fondation Ray & Diana Harryhausen, dont j’ignorais l’existence et qui a été créée depuis les années 80 pour préserver son travail et ses œuvres dans un esprit de cinémathèque avec de grands donateurs comme Peter Jackson. C’est également une structure de production. Tony Dalton, le responsable de la fondation, avait de son côté prévu de réaliser un documentaire sur Harryhausen avec une grande chaine anglaise, mais rien n’était lancé, ni concrétisé. En voyant notre montage d’une heure avec les différentes interviews, Tony Dalton a donné son feu vert et Alexandre est alors devenu concrètement producteur. Il a géré toutes les négociations pour officialiser le documentaire, se mettre d’accord sur la répartition des bénéfices et partir en quête du distributeur et du diffuseur. Le projet devenait désormais le film officiel et l’activité principale de la fondation, qui nous donnait accès à tout ce dont nous avions besoin au niveau des archives.
CC : A quels types d’archives ou de documents avez-vous pu avoir accès ?
GP : Grâce à la fondation, nous avons pu récupérer des documents inédits, filmer les figurines originales, les dessins, certains des scénarios originaux et des rushs découverts très récemment dans le garage de Harryhausen à Los Angeles par Randy Cook, Jim Danforth et la fille de Ray Harryhausen. Pouvoir intégrer dans le montage ces rushs, partis chez Weta en Nouvelle-Zélande où Peter Jackson a financé leur restauration, était pour nous précieux. Nous avons pu accéder à Steven Spielberg, sans malheureusement pouvoir le rencontrer physiquement à l’époque. En juin 2009, lors de la fête anniversaire animée par John Landis pour les 90 ans de Ray Harryhausen, à laquelle nous avons été conviés, nous avons rencontré pour la première fois physiquement Tony Dalton et les membres de la fondation. Nous avons pu réaliser les interviews additionnelles de toutes les personnalités présentes et utiliser le message vidéo enregistré par Steven Spielberg qui n’avait pas pu venir. A ce moment là, j’ai vraiment ressenti le caractère d’urgence de mon documentaire : Ray Harryhausen est encore une légende vivante et tout le monde attend ce film rapidement.
CC : Avez-vous pu aujourd’hui rencontrer toutes les personnalités dans vos interviews ?
GP : Maintenant oui. J’ai eu l’opportunité de rencontrer récemment Steven Spielberg et il m’a dit quelque chose de très intéressant sur la comparaison entre les images de synthèse et les effets physiques en prenant les dinosaures de Jurassic Park comme exemple. Nous avons pu filmer à nouveau dans de meilleures conditions certaines interventions comme celle de Phil Tippett, l’un des héritiers les plus évidents de Ray Harryhausen. Alexandre lui a demandé de répondre à nouveau aux mêmes questions tout en réalisant depuis San Francisco où il vit, une vidéo avec son propre matériel. Il a accepté volontiers en nous répondant avec humour ‘We have the technology’ (nous avons la technologie qu’il vous faut). On a recommencé celles de John Landis, qui me donne régulièrement ses réactions précieuses sur le montage en cours, Joe Dante à l’occasion d’une dédicace à Movies 2000 à Paris pour la sortie de son prochain long-métrage The Hole, Dennis Murren qui est un génie des effets visuels le plus oscarisé au monde via Star Wars, Jurassic Park, Terminator, ou encore Rick Baker.
CC : Au milieu de tous ces professionnels, la présence de la fille de Ray Harryhausen apporte une véritable touche personnelle. Etait-ce ton intention de départ ?
GP : Je n’osais pas imaginé l’avoir dans le documentaire. Elle a toujours refusé les interviews. Elle était présente lors de l’anniversaire de son père et, nous avons eu l’occasion de déjeuner avec elle le lendemain de manière officieuse, sans aucune volonté de chercher à la convaincre. Mais elle n’a pas refusé et nous a raconté les deux anecdotes qui sont dans le film ; celle de son père faisant cuire dans le four de la cuisine toutes les créatures de son studio et aussi le fait qu’elle ne jouait pas avec des poupées comme toutes les petites filles mais avec des dinosaures. Ce même jour, je me suis aussi très vite rendu compte qu’on allait manquer de touche féminine. Il est vrai que l’univers de Ray Harryhausen est très masculin et plus exactement lié à l’enfance masculine. Les créatures qu’il anime sont très proches des jouets des garçons (dinosaures, soucoupes volantes, dragons). C’est pour cette raison aussi que dans le documentaire, il n’y a ni réalisatrices ni créatrices d’effets spéciaux. Outre sa fille, j’étais donc très content d’obtenir les interviews de deux comédiennes qui avaient participé à ses films. Caroline Munro (Le Voyage Fantastique de Sinbad) et Martine Beswick dans (Un million d’année avant JC) étaient de surcroît deux sex-symbols des années 60 et des égéries dans certaines productions de la Hammer (Dracula). Elles ont ajouté leurs expériences précieuses sur le tournage et expliquer la manière dont elles étaient dirigées avec la créature par Ray Harryhausen, même s’il n’était pas crédité comme réalisateur.
CC : Tu opposes bien l’idée du travail de patience d’Harryhausen avec l’une des interventions de Cameron confirmant que s’il avait eu les technologies actuelles, il s’en servirait pour aller plus vite…
GP : Ce passage fait débat. C’est intéressant car il soulève une question à laquelle personne ne peut répondre. Lors de mon interview en 2004, j’avais demandé à Ray Harryhausen ‘Si vous faisiez encore des effets spéciaux, vous aimeriez utiliser les images de synthèse ?’. Il m’a répondu qu’il continuerait sans doute sa technique. Cette même question a été posée à James Cameron pendant la promotion d’Avatar avant que le film ne devienne un phénomène mondial. Dans sa réponse, le réalisateur a confirmé que Ray Harryhausen utiliserait les techniques numériques actuelles. Il était évident qu’il fallait intégrer ces propos dans un montage parallèle pour ouvrir le débat. Malheureusement, si tout le monde évoque ce passage, les retours ne sont pas toujours très positifs pour Cameron car cela le contredit. Si Harryhausen concevait des effets spéciaux aujourd’hui, il n’aurait que deux possibilités en schématisant : soit image par image, soit image de synthèse. S’il travaillait toujours avec sa technique, il ne pourrait plus l’utiliser en tant qu’effet spécial comme auparavant, dans un film avec des prises de vues réelles, mais plutôt dans un film d’animation comme le font les studios Hartmann, Henry Selick ou les productions Tim Burton (Noces Funèbres). L’animation en volume n’est plus un effet spécial aujourd’hui, elle a basculé vers un autre mode d’expression. Il aurait été contraint de passer à l’imagerie numérique comme les anciens animateurs en stop motion tels Phil Tippett, Randy Cook ou encore Doug Beswick qui ont travaillé sur des films comme SOS Fantômes, Star Wars et Chérie, j’ai rétréci les gosses. Pendant Jurassic Park, Phil Tippett se sentait comme une espèce en voie de disparition et ne voulait pas entendre parler des images de synthèse. Pourtant aujourd’hui, ils font tous des images de synthèses incroyables.
CC : Cependant Ray Harryhausen avoue aimer travailler seul et lorsqu’il voit les génériques, il ne peut imaginer collaborer avec autant de personnes. Chaque génie en son temps ? Certains individus sont-ils nés pour être des pionniers ?
GP : Oui c’est vrai, c’est un solitaire dans l’âme. Mais je pense aussi que lorsqu’on est un pionnier, on ne le sait pas. Ce sont les autres qui te déterminent comme tel. Ray Harryhausen, George Méliès, Willis O’Brien n’ont probablement jamais ressenti qu’ils étaient des pionniers. Quand on agit, on n’a pas forcément le recul sur quelle sera notre place dans l’histoire et eux, en l’occurrence, dans l’histoire du cinéma et des effets spéciaux. Ray Harryhausen a suivi les pas de Willis O’Brien, mais personne encore ne savait ce qu’était la technique de l’image par image. Il n’avait ni studio ni matériel comme les caméras et les figurines. Il était obligé de tout créer et réaliser lui-même. Si sur Monsieur Joe, il était l’assistant de Willis O’Brien et a pu collaborer avec une équipe, il s’est très vite retrouver tout seul à concevoir les effets spéciaux dans Le Monstre des Temps Perdus. Non pas pour s’annoncer comme pionnier mais par manque de moyen et ce fut pareil pour tous ses autres films, hormis Le Choc des Titans pour lequel il a été aidé par deux assistants animateurs. C’est un solitaire et il aime aussi avoir le contrôle total sur son travail. L’image par image demande énormément de concentration, de temps et de patience surtout quand on anime un combat de 7 squelettes contre 3 hommes rétro-projetés dans Jason et les Argonautes ou encore un dragon à 7 têtes. Aujourd’hui, ceux qui pratiquent l’animation en volume sur des films comme Frankenweenie, le prochain Tim Burton, travaillent chacun sur un plateau parmi plusieurs où ils ont des moniteurs vidéo leur permettant de voir exactement où ils en sont. Ils peuvent s’arrêter en plein milieu d’un plan sans crainte car tout est shooté avec des appareils numériques. Ray Harryhausen aurait sans doute aimé posséder ces outils à l’époque. Ce fut un enfer pour lui lorsqu’il mentionne les effets spéciaux d’incrustation sur Gulliver. Il fallait attendre des semaines pour savoir si tout fonctionnerait.
CC : Comment décrirais-tu son œuvre ? Car Willis O’Brien n’a pas survécu à sa création comparé à Ray Harryhausen qui a su apporter une véritable âme et une psychologie à ses créatures…
GP : Du point de vue du statut d’auteur et outre les premières oeuvres en stop motion comme Le Monde Perdu (1925) et King Kong de Willis O’Brien (1933) avant lui, Ray Harryhausen a sans le savoir créé un genre cinématographique où la mythologie, les mille et une nuits, les humains rencontrent des créatures géantes et monstrueuses. Ce genre lui a survécu et existe encore au travers de films comme Hell Boy 2, Avatar, certaines scènes de Terminator ou encore prochainement John Carter dont les influences sont évidentes. Willis O’Brien travaillait lui avec des équipes importantes sur King Kong. Il est difficile d’imprimer sa marque lorsque l’on est plusieurs. Mais il n’a pas su non plus exploiter le même talent que Harryhausen lorsqu’il s’est retrouvé à travailler tout seul sur plusieurs de ses films à petits budgets. S’il était un dessinateur et un technicien hors pair, il avait aussi une réputation de flambeur et n’avait pas la personnalité solitaire d’Harryhausen. Il a eu une fin de carrière anonyme avec des films comme Le Scorpion Noir tombé dans l’oubli. Harryhausen est allé jusqu’à prendre des cours de comédie pour mieux animer ses créatures afin de les rendre plus humaines. Ces films sont devenus siens au travers de ses séquences fortes conçues de l’écriture à la réalisation par lui-même. Le spectateur ne se souvient pas des noms des réalisateurs, mais de lui et c’est ce qui lui donne le statut d’auteur. Ce qui n’a jamais été le cas pour Willis O’Brien.
CC : En revanche pourquoi le terme Dynamation ne lui a pas survécu ?
GP : Dynamation est un terme inventé pour Le Septième Voyage de Sinbad en 1958, surtout à la demande de son producteur attitré Charles Schneer. Ils s’étaient effectivement rendu compte lors de la communication sur les films qu’ils se privaient d’un certain public considérant que les créatures animées étaient synonymes des dessins animés pour enfants. Ils ont donc inventé le terme publicitaire Dynamation (dynamique et animation) qui a évolué en Super Dynamation avec Les Voyages de Gulliver en 1960 et en Dynarama avec Le Voyage Fantastique de Sinbad en 1974. Ce terme publicitaire a disparu avec son dernier film, mais a permis de définir sa technique particulière consistant à animer sa figurine devant un petit écran sur lequel étaient projetés les acteurs jouant face à rien, à créer un cache noir sous les pattes de la créature et à projeter à nouveau à la place du cache noir, l’image du fond du décor par exemple. Il donnait ainsi l’impression que la créature était intégrée à l’intérieur du plan et non devant. Si le cache contre cache fut utilisé à foison par Méliès, Harryhausen est le premier à avoir combiné créatures animées, rétroprojection et cache contre cache. La technique lui a survécu auprès des animateurs comme Randy Cook (SOS Fantômes), Doug Beswick (Evil Dead 2), Phil Tippett (Star Wars).
CC : Comment s’est faite la négociation pour les extraits des films des différents réalisateurs ?
GP : C’était le rôle de Tony Dalton et d’Alexandre Poncet. La fondation est une association à but non lucratif. Tous les dons recueillis par la fondation servent à la restauration du patrimoine de Ray Harryhausen. Grâce à son statut caritatif, la majeure partie des studios hollywoodiens accepte de céder gratuitement les extraits pour une très longue durée et sur tous les territoires. Si nous n’avons eu aucune difficulté sur Avatar, la 20th Century Fox a rechigné sur certains extraits de Star Wars mais finalement tout a été réglé directement avec Georges Lucas via Lucasfilms.
CC : Comment s’est déroulé le travail de montage ?
GP : J’ai tout pris en charge pour des raisons de moyens, mais aussi par goût personnel. Alexandre a également participé d’un point de vue artistique et narratif en apportant de nouvelles idées. Je voulais dès le départ collecter des extraits de films récents qui ressemblent le plus à ceux de Ray Harryhausen, comme un jeu des sept erreurs. On compare ainsi l’extrait du dinosaure de Jurassic Park qui attrape l’avocat sur les toilettes et lui mange la tête à la scène avec le policier dans Le Monstre des Temps Perdus. Ou encore les soucoupes volantes de Mars Attacks! avec celles des Soucoupes Volantes attaquent (1956). L’idée de mise en parallèle entre la déesse Kali aux six bras du Voyage Fantastique de Sinbad et le robot dans Star Wars III vient d’Alexandre Poncet. Je voulais mettre à l’origine un extrait de Tomb Raider beaucoup moins percutant.
CC : A ton avis, ce sont des références directes pour les réalisateurs ou bien sont-elles sont entrées dans l’inconscient car ils ont découvert ces films jeunes ?
GP : Cela dépend. Pour Star Wars, je ne saurais dire. J’aurais bien aimé poser la question à Georges Lucas. C’est une référence évidente car il nous a autorisés à utiliser l’extrait en sachant comment nous allions l’exploiter. Mais elle peut être aussi une référence inconsciente par rapport au film vu dans l’enfance. James Cameron avoue face caméra que le squelette de Terminator a été inspiré par les squelettes de Jason et les Argonautes. Généralement, ils confirment tous la filiation.
CC : Le film aura-t-il une carrière sur le petit et le grand écran ? Des chaines ont-elles déjà signé ?
GP : Avant de proposer notre projet, une grande chaine anglaise avait fait savoir très tôt à la fondation qu’elle était intéressée par un documentaire. Il serait donc fort probable qu’elle signe pour notre film. Deux autres chaines anglaises sont également intéressées qui pourraient soit entrer en concurrence, soit la rejoindre pour le codiffuser. Parallèlement, on drague d’autres chaines aux Etats-Unis et en Espagne. En France, j’ai montré un premier montage d’une heure à Canal+, Arte et France 2. J’ai été bien accueilli par les responsables respectifs qui n’ont cependant pas donné suite car selon leurs dires, le documentaire n’entrait pas dans leurs grilles des programmes d’un point de vue rédactionnel. Nous avons également plusieurs éditeurs DVD intéressés. Si Alexandre Poncet a composé une musique originale dans le documentaire, nous avons aussi utilisé des morceaux de Bernard Herrmann et de Laurence Rosenthal du Choc des Titans dont on doit encore régler les droits d’utilisation auprès des maisons de disques. Nous n’avions pas prévu initialement une carrière dans les salles de cinéma car le documentaire s’adresse à une cible particulière de cinéphiles, qui s’intéressent à ce genre de films. Nous nous orientons plutôt vers les festivals comme cette projection lors de la première édition du Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF) en novembre 2011 et quelques screening payants. On nous a aussi proposé en Angleterre de projeter le film couplé avec une reprise en copie neuve de Jason et les Argonautes.
CC : A l’arrivée, le documentaire ressemble à une véritable anthologie jamais réalisée sur Ray Harryhausen car il s’adresse aux fans et à la nouvelle génération qui ne le connait pas. Etait-ce ton objectif ?
GP : J’espère. Je voulais étendre mon sujet et toucher un public large pour rendre compte de cette source d’inspiration commune pour les plus grands réalisateurs du monde. Je trouvais intéressant d’utiliser ces personnalités pour évoquer cet homme pas si connu et ainsi le remettre sur le piédestal qu’il mérite et le replacer à sa juste valeur dans le jeu des influences artistiques…
Trailer de ‘Ray Harryhausen, le Titan des Effets Spéciaux’ de Gilles Penso, coproduit par Alexandre Poncet de Frenetics Arts et Tony Dalton de la Fondation Ray Harryhausen. Scénario et montage : Gilles Penso avec la collaboration d’Alexandre Poncet. Au casting : Ray Harryhausen, Steven Spielberg, James Cameron, Peter Jackson, John Landis, Joe Dante, Terry Gilliam, Tim Burton, John Lasseter, Henry Selick, Guillermo Del Toro, Vincenzo Natali, Jean-Pierre Jeunet, Ray Bradbury, Nick Park, Randy Cook, Phil Tippett, Rick Baker, Dennis Murren, Steve Johnson, Vanessa Harryhausen, Caroline Munro, Martine Beswick…
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