Seul dans un théâtre parisien après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le rôle principal et il se prépare à partir lorsque Vanda surgit, véritable tourbillon d’énergie aussi débridée que délurée. Vanda incarne tout ce que Thomas déteste. Elle est vulgaire, écervelée, et ne reculerait devant rien pour obtenir le rôle. Mais un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et c’est avec stupéfaction qu’il voit Vanda se métamorphoser. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît toutes les répliques par cœur. Alors que l’« audition » se prolonge et redouble d’intensité, l’attraction de Thomas se mue en obsession…
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Savourer un bon petit huis clos luxurieux de Polanski, présenté en compétition officielle au 66e festival de Cannes, il ne peut rien avoir de mieux. Le cinéaste franco-polonais est revenu de surcroît en excellente forme, onze ans après avoir bouleversé la Croisette avec le puissant Le Pianiste, lauréat de la Palme d’or en 2002. La Vénus à la Fourrure (Venus in Fur), tourné en langue française, a été notre véritable coup de cœur ici. Après CARNAGE (notre critique) d’après la pièce de Yasmina Reza, le cinéaste multicompensé signe un bijou de comédie érotique SM en théâtre filmé, ensorcelant, grinçant et excellemment bien ficelé, adapté de la pièce de David Ives à Broadway, tirée elle-même du roman éponyme de Leopold von Sacher-Masoch, lequel donna son nom au masochisme. L’adaptation au théâtre a connu, elle aussi, un véritable succès permettant à son actrice principale Nina Arianda de remporter un Tony Award. Roman Polanski propose à son tour, pendant 1h35, une savoureuse mise en abyme filmique de l’univers théâtral explorant de manière désopilante le travail d’adaptateur et toute cette ambiguïté dans les relations singulières qui unissent un auteur à sa comédienne. Un rapport déjà bien ancré dans cette notion du dominant/dominé au sein de ce récit centré sur le dramaturge Thomas (Amalric) qui désespère de trouver une actrice pour jouer le rôle principal de sa pièce et sur une comédienne Vanda (Seigner) se présentant à lui au dernier moment.
Ainsi dans une mise en scène fluide et maîtrisée, jouant habilement avec les effets de lumière et la bande-son d’Alexandre Desplat, le cinéaste sublime comme jamais son épouse qu’il avait dirigée dans Frantic, Lune de Fiel et La Neuvième Porte. Seulement vêtue d’une lingerie fine, de bas couture et d’un porte-jarretelle avec des escarpins ou des bottes-cuissardes, Emmanuelle Seigner, qui dévoile sa toujours superbe plastique, resplendit et redouble de virtuosité dans son interprétation. Elle incarne en effet avec brio cette comédienne postulante manipulatrice, mimant superbement les gestes, face à Mathieu Amalric, sorte d’alter égo de Polanski, au cours de cette audition dans lequel ce tandem détonant bascule progressivement dans une relation perverse entre domination et soumission. Polanski, qui avait reçu ce manuscrit des mains de son producteur à Cannes l’année dernière, réussit un an plus tard à nous embarquer dans ce tourbillon sado-masochiste au coeur de ce théâtre délabré parisien où l’atmosphère s’épaissit et se transforme peu à peu, pour glisser subrepticement de l’autre côté du miroir, laissant la réalité se fondre dans l’imaginaire obsessionnel de ce dramaturge…
LA VÉNUS À LA FOURRURE de Roman Polanski en salles le 13 novembre 2013 avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric. Scénario : Roman Polanski et David Ives d’après sa pièce. Producteurs : Robert Benmussa, Alain Sarde. Musique : Alexandre Desplat. Photographie : PAwel Edelman. Son : Lucien Balibar. Montage : Margot Meynier, Hervé de Luze. Décors : Jean Rabasse. Costumes : Dinah Collin. Distribution : Mars Distribution. Durée : 1h35.
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