Bertrand Tavernier et Thierry Lhermitte n’avaient plus travaillé ensemble depuis près de 35 ans, depuis que le premier avait offert un petit rôle au second dans ‘Des enfants gâtés’ en 1977. ‘Quai d’Orsay’, tirée de BD éponyme d’Abel Lanzac et Christophe Blain, scelle donc des retrouvailles réussies entre le réalisateur de ‘Que la fête commence’ et la vedette du ‘Dîner de Cons’. A l’occasion de la sortie le 6 novembre de cette comédie sur les coulisses du Ministère des Affaires étrangères et le quotidien de ses conseillers, CineChronicle a rencontré le duo pour parler d’adaptations, de textes et d’univers à explorer.
CineChronicle : Bertrand, vous qui affirmez faire des films pour explorer des milieux qui vous sont inconnus, qu’avez-vous appris sur celui-ci ?
Bertrand Tavernier : Enormément de choses bien sûr, surtout sur la manière dont les gens travaillent au sein d’un cabinet ministériel, et la différence entre les grands salons du Quai d’Orsay et les petits espaces où s’activent ces conseillers. En préparant ce film, j’ai tout d’un coup senti pourquoi il y avait un vent de folie, sur les questions du Moyen-Orient par exemple. Ils doivent être prêts à réagir 24h sur 24 car ils sont en lien avec le monde entier, surtout avec ce décalage horaire que l’on voit bien dans le film, lorsque l’équipe du ministre incarné par Thierry appelle en pleine nuit le directeur du cabinet Claude Maupas, joué par Niels Arestrup, resté à Paris. C’est pour cette raison que Quai d’Orsay reste éloigné de chroniques politiques plus récentes. L’Exercice de l’Etat (2011), que j’aime beaucoup, est centré sur l’histoire d’un ministre isolé qui doit survivre à côté de ministères plus importants que le sien. Dans La Conquête (2011), ils sont tous connus. Ici, à part le ministre, ce sont des hommes de l’ombre, qui décident avec leur chef des prises de position sur des choses très importantes. Déjà dans la BD d’Abel Lanzac et Christophe Blain, j’ai eu cette impression de justesse sur ces sujets qui n’intéressent pas les médias et sur ces gens dont on ne parle jamais. Même dans la série Borgen, ce qui importe le plus c’est le rapport entre un premier ministre et l’opposition. Cela dit, c’est en train d’évoluer, et certains médias commencent à s’intéresser vraiment au fonctionnement de la politique et à ses coulisses.
CC : C’est la première fois que vous adaptez une bande-dessinée. Le résultat, très fidèle, a-t-il supposé des difficultés particulières ?
BT : Non, les gens ont tort de croire qu’adapter une BD est plus difficile qu’adapter un livre. Porter à l’écran une BD bien écrite n’est pas plus compliqué que de transposer La Princesse de Montpensier, nouvelle de Madame de La Fayette faisant 29 pages, en un film de 2h12. D’Abel Lanzac/Antonin Baudry je n’avais lu qu’Isaac le Pirate, mais quand j’ai découvert Quai d’Orsay la semaine de sa parution grâce à un ami, ce fut tout de suite un choc. Du coup j’ai très vite rencontré Antonin chez lui à New York avec Christophe pour avoir son accord. J’ai aimé ces personnages de comédie, cette très grande drôlerie. Les dialogues se suffisaient à eux-mêmes, tout comme ce souvenir du discours de Villepin à l’ONU en 2003, contre l’engagement en Irak. Il lui a valu un prestige extraordinaire, je n’entends plus ce type de discours aujourd’hui, ce style et cette ampleur manquent à la France. Et pour une fois, j’abordais une page historique plus récente, mais de toute façon, tous les films finissent par devenir historiques. L.627, que j’ai réalisé il y a plus de 20 ans, est déjà historique et le sera encore plus dans 30 ans.
CC : Thierry, apparemment Bertrand a retrouvé le Lhermitte délirant de vos débuts en vous dirigeant. Pourtant, ce rôle a dû imposer une exigence de comédie plutôt inédite avec ce rôle flamboyant et cette association de gestes théâtraux et de profusion de dialogues.
Thierry Lhermitte : En même temps, cela fait des années que l’on m’offre des rôles avec beaucoup de dialogues. Mais on arrive à ce que l’on veut quand on fait confiance au texte et que l’intérêt pour les mots se maintient en jouant. Il faut d’abord s’oublier pour être au service du texte. C’est avec lui que je suis devenu ministre – comme un musicien suit sa partition – et c’est lui qui continue d’inspirer une fois qu’on le connaît, il amène des arguments.
BT : Il fallait quelqu’un qui ait une grâce physique pour ce rôle, qui n’ait pas peur d’aller loin et qui apporte d’emblée une crédibilité. Thierry, quand on l’écoute, on sait et on sent tout de suite qu’il a lu Héraclite comme ce ministre. C’est très important. Claude Sautet m’en a parlé quand j’ai évoqué avec lui Ça commence aujourd’hui. Il me disait : « Philippe Torreton, j’y crois ».
TL : J’avais lu la BD et j’ai tout de suite voulu retourner avec Bertrand car je suis un grand fan de son cinéma. On est d’accord sur la vision du monde qu’il décrit dans ses films, même si le pouvoir politique dont il est question ici ne m’intéresse pas et que le monde du pouvoir ne m’attire pas. C’est en travaillant ensemble que l’on est arrivé à ce discours magnifique. Mais il ne s’agissait pas pour autant d’avoir tout le temps le potentiomètre coincé tout en haut, il fallait d’abord convaincre.
BT : Il ne fallait absolument pas psychanalyser, mais laisser affleurer les personnages. On oublie les modèles, on laisse le manuel à la maison et on y va.
TL : C’est aussi important de jouer le drame de chaque personnage dans une comédie. Quand on joue autre chose, on est à côté.
BT : C’est ça, il faut éviter le commentaire. D’ailleurs personne ne ‘‘joue comique’’ dans le film. La différence de diction entre Thierry et Niels Arestrup, par exemple, se suffit à elle-même pour apporter un décalage humoristique.
CC : Bertrand, via le récent lancement de la collection ‘‘L’Ouest, le vrai’’, vous souhaitez redonner ses lettres de noblesse au western littéraire. Pensez-vous adapter un jour une œuvre du genre ?
BT : Je dois d’abord trouver un sujet adéquat, avec une matière dont je puisse tirer quelque chose. Quand j’ai tourné Dans la brume électrique (2009), je savais que je réalisais un film peu commun au-delà du fait que c’était ma première fiction américaine. Le roman de James Lee Burke n’avait été adapté qu’une seule fois au cinéma, et peu de films ont vraiment été tournés dans les bayous de La Louisiane. Alain Corneau m’a même dit : « Tu as fait le film que les Américains n’ont pas réussi à faire ». Je pense surtout que j’ai toujours l’impression de faire un dernier film. Mes trois derniers – Dans la brume électrique, La Princesse de Montpensier et Quai d’Orsay – ne se ressemblent pas du tout d’ailleurs. J’étais au 16e siècle avec le précédent, me voici à l’ère moderne. Mais je ne suis pas dans les genres. J’ai surtout la passion d’aller découvrir un monde inconnu. On discutait récemment avec Thierry d’Antoine et Antoinette (1947) de Jacques Becker, l’un des cinéastes français que j’admire le plus. Dans l’histoire de ce couple aux lendemains de la guerre, plein de petits détails donnent une urgence à la scène. Du coup, ce film fait toucher du doigt ce que beaucoup de livres ne parviennent pas à faire comprendre. En face, vous vous êtes marré ou vous avez été touché, c’est l’essentiel.
CC : Vous annonciez en décembre dernier l’écriture de 70 ans de cinéma américain. Où en êtes-vous ?
BT : Ça avance, mais pour la sortie il faudra attendre encore deux-trois ans.
>> NOTRE CRITIQUE DE QUAI D’ORSAY <<
QUAI D’ORSAY en salles le 6 novembre, distribué par Pathé, avec Thierry Lhermitte, Raphael Personnaz, Niels Arestrup, Bruno Rafaelli, Julie Gayet, Thierry Frémont, Thomas Chabrol, Anaïs Demoustier, Sonia Rolland, Jane Birkin, François Perrot.
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