Synopsis : Jason Tantra, un cameraman placide, rêve de réaliser son premier film d’horreur. Bob Marshall, un riche producteur, accepte de financer son film à une seule condition : Jason a 48 heures pour trouver le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma…
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Toujours aussi en forme, surréaliste et absurde, Quentin Dupieux nous ravit les zygomatiques en chamboulant nos perspectives avec son cinquième et nouveau long métrage, Réalité. Cet homme-orchestre alias Mr Oizo, figure de proue de la french touch, nous revient avec probablement l’une de ses créations originales les plus abouties. Ce film-somme, présenté aux derniers festivals de Venise et de Gérardmer, est en développement depuis 2008, à savoir avant Wrong et Wrong Cops, voire même Rubber. Abandonné à l’époque pour des raisons pécuniaires et d’indisponibilité de son acteur principal, il voit enfin le jour aujourd’hui. Le récit, tourné en langue anglaise, nous plonge dans une savoureuse mise en abyme du monde du cinéma et raconte un rêve – ou plutôt un étrange cauchemar -, avec plusieurs histoires différentes, plusieurs degrés de réalité et des personnages pittoresques qui s’entrecroisent. Le cinéaste, qui nous coince ici dans une boucle temporelle, signe quelque peu son Inception onirique dupieux-esque, dans un mixe entre David Lynch, Spike Jonze et David Cronenberg, parfaitement assimilés et réappropriés. Le résultat est un délire mental, bien coordonné, qui n’a absolument aucune logique si ce n’est la sienne, mais dont le propos de fond reste néanmoins significatif. Car finalement tout se tient dans cette comédie décalée, parfois autoréférentielle, où se confondent rêve, réalité et fiction.
On suit ainsi une jeune fille prénommée Reality (Kyla Kennedy), qui découvre dans les entrailles d’un sanglier mort, abattu par son chasseur de père, une mystérieuse VHS bleue appartenant à un cameraman placide. Ce dernier est incarné par le loufoque Alain Chabat qui soumet à un producteur, campé par le tout aussi farfelu Jonathan Lambert (Steak), un pitch pour un potentiel film d’horreur gore, où il est question d’une télévision maléfique qui fait imploser les humains par ses ondes. Ce passage montré, hommage aux séries b cultes, est en outre un plaisir de fin gourmet pour tous les fans du genre. Bien sûr, le contrat sera signé s’il trouve en 48 heures le gémissement parfait de toute l’Histoire du cinéma qui débouchera sur un Oscar. On est dès lors immergés dans un climat de nonsense, avec plusieurs strates de rêves – et donc de lecture – lorsque tous les éléments narratifs se rejoignent et se connectent.
Devant la caméra de Dupieux, outre les personnages centraux, on retrouve certains de ses comédiens fétiches, comme l’Américain Eric Wareheim (Tim & Eric). Il incarne ici le proviseur excentrique de Reality, qui aime se travestir en roulant en Jeep et raconter ce soi-disant rêve, qui n’en est pas un tout en en étant un, à une psychothérapeute, campée avec désinvolture par Elodie Bouchez. L’interprétation distanciée de John Glover en réalisateur hors norme nommé Zog est aussi appréciable. Ce personnage, qui pourrait sortir tout droit de The Player de Robert Altman, est en quelque sorte l’alter ego du cinéaste. On retient aussi Jon Heder (Napoléon Dynamite) en présentateur d’une émission de cuisine soporifique, vêtu d’un costume de rat et atteint d’une sorte d’eczéma du cerveau.
Tout reste donc parfaitement ‘normal’ dans la tête du réalisateur de Nonfilm, toujours en charge du montage, parfaitement calibré, et de la photographie, lumineuse et désaturée, lui conférant une texture vintage idoine. Sa manière de capturer l’Amérique et de filmer les situations baroques et l’expression de ses personnages reste toujours aussi unique et insolite. Toutefois, s’il compose habituellement ses musiques, il a utilisé cette fois un morceau minimaliste de Philip Glass datant de 1971, Music With Changing Parts, volontairement lancinante et répétitive, qui renvoie quelque peu à la sonorité de John Carpenter. On salue enfin le travail sur les décors arty de Joan Le Boru, notamment de la villa architecturale du producteur, surplombant l’espace étendu, verdoyant et sauvage de Los Angeles. On continue ainsi d’explorer avec délectation ses obsessions délurées, après Steak sur les canons esthétiques, Rubber centré sur un pneu tueur en série, Wrong qui faisait entre autres tomber la pluie dans le bureau de Jack Plotnick, et Wrongs Cops sur des flics corrompus et totalement dégénérés.
- RÉALITÉ écrit et réalisé par Quentin Dupieux en salles le 18 Février 2015.
- Avec : Alain Chabat, Jonathan Lambert, Elodie Bouchez, Kyla Kennedy, John Glover, Eric Wareheim, Erik Passoja, Matt Battaglia, Susan Diol, Patrick Bristow, Brad Greenquist, Jon Heder, Sandra Nelson…
- Production : Diane Jassem, Kevos Van Der Meiren, Josef Lieck
- Photographie : Quentin Dupieux
- Montage : Quentin Dupieux
- Décors : Joan Le Boru
- Costumes : Jamie Redwood
- Son : Zsolt Magyar, Gadou Naudin, Will Files
- Effets Visuels : Fabien Feintrenie
- Musique : Philippe Glass
- Distribution : Diaphana Distribution
- Durée : 1h27
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