Inherent Vice de Paul Thomas Anderson: critique

Publié par Guillaume Ménard le 5 mars 2015

Synopsis : L’ex-petite amie du détective privé Doc Sportello surgit un beau jour, en lui racontant qu’elle est tombée amoureuse d’un promoteur immobilier milliardaire : elle craint que l’épouse de ce dernier et son amant ne conspirent tous les deux pour faire interner le milliardaire… Mais ce n’est pas si simple…

 

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Inherent Vice - affiche

Inherent Vice – affiche

Avec une filmographie fourmillant de chefs-d’œuvre comme Magnolia ou There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson marque son retour inattendu avec Inherent Vice. Adapté du roman homonyme de l’écrivain post-moderne Thomas Pynchon, cette fiction fantaisiste amorce un changement dans la carrière du réalisateur, après le sérieux THE MASTER (notre critique). Le récit nous plonge dans le Los Angeles hippie des années 70 et conte les frasques de Doc Sportello (Joaquin Phoenix), détective accro à la marijuana et autres substances. L’introduction flottante est bercée par une voix féminine, narratrice du récit et source inconditionnelle du dédale dans lequel le spectateur est pris au piège. Inherent Vice applique les thèmes chers au post-modernisme comme la pluralité des genres dans une même œuvre (polar, drame et comédie), mais aussi son rapport au réel. C’est ce qui frappe d’emblée après une conversation entre Doc et son ex-petite amie Shasta (Katherine Waterston), laquelle lui demande d’enquêter pour sauver son amant déjà marié, Mickey Wolfmann (Eric Roberts), d’une prétendue menace par sa femme. La suite bascule dans une succession de rencontres avec une galerie de personnages des plus extravagants, de l’inspecteur névrosé « BigFoot » (Josh Brolin) au prophète raté (Coy Harlingen). Doc Sportello évolue de lieux en lieux en permanence, galvanisé par la drogue et son besoin d’accomplir la tâche confiée par son amour perdu.

 

Joaquin Phoenix dans Inherent Vice de Paul Thomas Anderson

Joaquin Phoenix dans Inherent Vice de Paul Thomas Anderson

 

Pendant 2h30, les séquences s’enchaînent au rythme d’une enquête qui n’aboutit jamais réellement. La trame usuelle du polar est ici mise à mal par un jeu de fausses pistes si abracadabrantes qu’il en perd le spectateur. L’absurdité et le degré de complexité, créés par l’amoncellement des preuves et les rôles de chacun dans cette affaire, provoquent ainsi un effet comique qui fonctionne à merveille. Les dialogues hallucinés tenus par Doc, jamais sobre, rajoutent encore à la dimension irréelle qui tend vers un onirisme cocasse pouvant se transformer en un cauchemar illusoire. C’est la force d’Inherent Vice qui nous plonge dans cette atmosphère psychédélique invoquant les dérives sociétales de l’Amérique. Particulièrement cette période pleine de doutes et de fissures identitaires qui va au-delà de la notion d’amour vendue comme un rêve. Ce point est parfaitement étayé par le personnage de Doc qui appelle à la nuance sur le verbe « aimer ». Ce qui anime les motivations des personnages dépasse le sens commun. Leurs réactions sont souvent inattendues et imprévisibles. La question du réel est ainsi au cœur de l’enquête, sollicitant en sous-texte au public si ce qu’il voit est un trip métaphysique. Impossible de se raccrocher à une structure narrative traditionnelle et un récit logique. Tout est ici totalement éclaté en morceaux.

 

Josh Brolin et Joaquin Phoenix dans Inherent Vice de Paul Thomas Anderson

Josh Brolin et Joaquin Phoenix dans Inherent Vice de Paul Thomas Anderson

 

La mise en scène de Paul Thomas Anderson, toujours virtuose, sert parfaitement cette narration avec ses travellings avant nous immergeant lentement dans la bulle des protagonistes. Les plans de coupe sont aussi à l’image de cette expérience sensorielle, où les fondus enchaînés illustrent ces passages embrumés et flous. L’action est constamment dépendante de l’espace. Le lieu définit ici le plus souvent la nature des évènements comme le démontre la première rencontre entre Doc et Coy Harlingen, discutant en plein brouillard. La caméra en mouvement suit le processus de l’enquête mais s’arrête soudainement lorsque le danger se profile, en témoigne la scène où Doc se retrouve menotté à un tuyau. Le cinéaste enferme son héros dans le cadre, le forçant, dans un plan fixe, à se confronter à ses obstacles et à trouver une solution. La technique devient ainsi partie intégrante du récit. Elle est accentuée par le travail de Robert Elswit, le directeur de la photographie et son collaborateur depuis toujours. Il délivre une image contrastée impeccable où le jeu de lumière met en avant cette vision psyché des années 70, plus enivrante que celle présentée dans Boogie Nights. Tout comme les décors de David Crank, de l’appartement sordide du Doc à la maison close chinoise dont les murs sont recouverts de moquette mauve. La Californie de l’époque de Charles Manson est ainsi parfaitement reconstituée.

 

Benicio del Toro et Joaquin Phoenix dans Inherent Vice de Paul Thomas Anderson

Benicio del Toro et Joaquin Phoenix dans Inherent Vice de Paul Thomas Anderson

 

Mais la folie qui règne dans Inherent Vice doit aussi beaucoup à sa partition musicale. Le score de Jonny Greenwood propose des instrumentaux adéquats, à l’opposé de qu’il a l’habitude de composer en tant que membre du groupe Radiohead. On retient l’hypnotisant Shasta Fay ou encore Meeting Crocker Fenway qui renvoie à la sonorité des films noirs. Autre point fort de Paul Thomas Anderson, la direction d’acteurs. Joaquin Phoenix repousse les limites de l’absurde rappelant sa prestation pseudo-réaliste dans le faux documentaire I’M STILL HERE (notre critique). Face à lui Josh Brolin et Owen Wilson lui prêtent mains fortes avec brio. Quant à Benicio Del Toro, il tire étonnamment son épingle du jeu dans le rôle de l’avocat Sauncho Smilax en dépit d’une présence discrète à l’écran.

 

Outre tous ces attraits, Inherent Vice risque de dérouter d’autant plus par la vitesse du récit similaire à une course d’escargot. Mais c’est aussi ce qui fait son charme : perdre son héros dans une intrigue hallucinogène pour signifier en conclusion que les notions d’aboutissement et de réel importent peu dans cet étirement (in)temporel. Les thèmes, déjà récurrents dans le cinéma de Paul Thomas Anderson (la pluie de grenouilles biblique dans Magnolia, l’harmonium providentiel dans Punch Drunk Love, les « séances » de Freddy dans The Master), s’engagent ici sur un chemin plus saugrenu, entre The Big Lebowski des frères Coen et Le Privé de Robert Altman. Inherent Vice reflète ainsi cet aspect post-moderniste du romancier, avec ses moments fantasmés et rêvés, dans une enquête où la fantaisie l’emporte sur la logique et la compréhension, le tout dirigé par un cinéaste qui ne cesse de se réinventer.

 

 

 

  • INHERENT VICE réalisé par Paul Thomas Anderson en salles le 4 Mars 2015.
  • Avec : Joaquin Phoenix, Josh Brolin, Owen Wilson, Katherine Waterston, Benicio Del Toro, Jena Malone, Eric Robets, Reese Witherspoon, Maya Rudolph, Sasha Pieterse, Martin Short, Michael K. Williams…
  • Scénario : Paul Thomas Anderson d’après l’oeuvre éponyme Inherent Vice de Thomas Pynchon, traduit en français par Vice cache, publié aux éditions du Seuil en 2010.
  • Production : Paul Thomas Anderson, Joanne Sellar, Daniel Lupi
  • Photographie : Robert Elswit
  • Montage : Leslie Jones
  • Décors : David Crank
  • Costumes : Mark Bridges
  • Musique : Jonny Greenwood
  • Distribution: Warner Bros
  • Durée : 2h29

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