Synopsis : Un avant-poste reculé au fin fond de la Patagonie, en 1882, durant la prétendue « Conquête du désert », une campagne génocidaire contre la population indigène de la région. Les actes de sauvagerie se multiplient de tous côtés. Le Capitaine Gunnar Dinesen arrive du Danemark avec sa fille de quinze ans afin d’occuper un poste d’ingénieur dans l’armée argentine. Seule femme dans les environs, Ingeborg met les hommes en émoi. Elle tombe amoureuse d’un jeune soldat, et tous deux s’enfuient à la faveur de la nuit. À son réveil, le Capitaine Dinesen comprend la situation et décide de s’enfoncer dans le territoire ennemi pour retrouver le jeune couple.
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« Les Anciens disaient que Jauja était, dans la mythologie, une terre d’abondance et de bonheur. Beaucoup d’expéditions ont cherché ce lieu pour en avoir la preuve. Avec le temps, la légende s’est amplifiée d’une manière disproportionnée. Sans doute les gens exagéraient-ils, comme d’habitude. La seule chose que l’on sait avec certitude, c’est que tous ceux qui ont essayé de trouver ce paradis terrestre se sont perdus en chemin. ». Après ce carton d’introduction tiré d’une légende de la mythologie, Jauja du cinéaste argentin Lisandro Alonso (Los Muertos), présenté dans la section Un Certain Regard à Cannes en 2014, nous capte immédiatement par l’emploi audacieux du rapport d’image 1,33. Un format obsolète à l’heure du support numérique et des téléviseurs 16/9. Cette approche originale s’avère rapidement déterminante pour cette oeuvre, lui conférant un style et une véritable exigence formelle. Le réalisateur enferme ses personnages à l’intérieur de ce cadre souvent fixe et dont les différents plans prennent l’allure d’une succession de tableaux. Les paysages désertiques de Patagonie sont superbement filmés et composés. On y perçoit d’ailleurs les œuvres picturales de Goya ou d’Edward Hopper dans ces images splendides où la nature joue un rôle essentiel, s’identifiant à un western contemplatif et méditatif. Le rythme a aussi son importance puisque sa lenteur renvoie au cinéma de Ingmar Bergman, Carl Theodor Dreyer ou encore Andreï Tarkovski. Rien que cela.
En tête de casting en majeure partie argentin, Viggo Mortensen se révèle une nouvelle fois magistral, après l’excellent Loin des hommes l’an dernier. L’acteur américain de 56 ans, d’origine danoise, fait des choix de plus en plus difficiles mais toujours audacieux, à mesure que la maturité se dessine sur les traits de son visage. Il semble loin le temps où il incarnait un peintre ambigu dans le remake du thriller hitchcockien Meurtre Parfait de Andrew Davis (1998) ou un prisonnier de la série B horrifique Prison de Renny Harlin (1988). Deux oeuvres intéressantes quasiment oubliées aujourd’hui, avant qu’il ne rencontre la célébrité avec le rôle d’Aragorn dans Le Seigneur des Anneaux de Peter jackson. Aujourd’hui et depuis son expérience avec David Cronenberg (A History of Violence, Les Promesses de l’Ombre et A DANGEROUS METHOD – notre critique), ce comédien puissant et solide semble en quête de personnages plus humains et modestes. Il se révèle dans Jauja à la fois sobre et juste dans le rôle de ce capitaine, ce père vouant un amour infini et protecteur pour sa fille (Viilbjørk Malling Agger), en fuite avec un jeune soldat (Esteban Bigliardi) dont elle s’est éprise. Il part à sa recherche à travers une lande désolée emportée par un conflit génocidaire absurde.
Au fur et à mesure, cette quête pour la retrouver devient celle du parcours mental d’un homme esseulé, au bord de la folie, désemparé face aux souvenirs de sa progéniture. Il semble alors prisonnier du temps dans un pays imaginaire qui lui renvoie des éléments ou objets liés à sa fille. Il fait aussi de curieuses rencontres comme cette vieille femme ermite et mystérieuse, incarnée par Ghita Norby (La nouvelle vie de Monsieur Horten). Les dialogues, plutôt abondants dans la première partie, se font dès lors plus rares, et le tout gagne en poésie et surréalisme. Le dernier acte s’avère ainsi plus onirique et abstrait, transcendé par une image contemplative et épurée jusqu’à un final profondément énigmatique. À l’arrivée, Jauja de Lisandro Alonso demande une véritable exigence pour se laisser emporter par son intrigue à la fois minimaliste et complexe, construite en collaboration avec le poète argentin Fabian Casas. Il faut mettre de côté tout esprit cartésien et se glisser lentement, comme dans un rêve étrange et pénétrant, à l’intérieur de cette œuvre singulière fortement émouvante et tout simplement belle.
- JAUJA réalisé par Lisandro Alonso en salles le 22 avril 2015.
- Avec : Viggo Mortensen, Ghita Norby, Viilbjørk Malling Agger, Adrián Fondari, Esteban Bigliardi, Diego Roman, Mariano Arce…
- Scénario : Lisandro Alonso, Fabian Casas
- Production : Sylvie Pialat, Viggo Mortensen, Ilse Hughan, Andy Kleinman, Jaime Romandia, Helle Ulsteen
- Photographie : Timo Salminen
- Montage : Natalia Lopez, Gonzalo Del Val
- Décors : Sebastian Roses
- Costumes : Gabriela Aurora Fernandez
- Musique : Viggo Mortensen, Buckethead
- Distribution : Le Pacte
- Durée : 1h53
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