Synopsis : À la fin du XIXème siècle en Angleterre, Miss Giddens, une gouvernante, se voit chargée par un homme de l’éducation de ses deux jeunes neveux qui vivent seuls avec leur nourrice Miss Grose dans un manoir…
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Chef-d’œuvre du cinéma d’épouvante gothique, Les Innocents du Britannique Jack Clayton (1961) ressort dans les salles obscures à partir du 15 juillet 2015. En attendant, le Festival Play it Again organisait une avant-première exceptionnelle ce samedi 25 avril au cinéma Mac Mahon à Paris pour nous réjouir de cette superbe copie restaurée qui magnifie la photographie noir et blanc du grand chef opérateur Freddie Francis. Autre célébrité au générique, Truman Capote. L’écrivain américain de Breakfast at Tiffany (1958) et De Sang Froid (1966) a collaboré à l’écriture avec William Archibald, d’après le roman Le Tour d’écrou de Henry James, remportant le prix Edgar-Allan-Poe du meilleur scénario. En apparence, il s’agit d’une histoire de fantômes classique dans la veine du magnifique La Maison du Diable de Robert Wise (1963). On peut donc s’attendre à frissonner. C’est d’ailleurs le cas dans plusieurs séquences très réussies grâce à leur pouvoir de suggestion, jouant avec les apparitions des spectres de l’ancienne gouvernante Miss Jessel et du valet Quint. Ces derniers ont vécu en ces lieux de leur vivant une passion charnelle à la fois amoureuse et pleine de perversité. À ce titre, Michael Winner signera une sorte de préquelle en 1972, Le Corrupteur, avec Marlon Brando et Stephanie Beacham, qui développe cette liaison sado-masochiste mêlée de corruption enfantine. Les Innocents installe donc son intrigue après la mort des deux amants, suggérant que Miles et Flora, les deux enfants dont la nouvelle gouvernante est chargée de s’occuper, ne sont autres que les réincarnations de Quint et Miss Jessel, possédés par leurs esprits pervers.
Jack Clayton prend dès lors le parti de montrer des scènes explicitement ambigües, centrées sur le trouble de Miss Giddens (Deborah Kerr) envers le très jeune Miles (Martin Stephens, vu dans Le Village des Damnés, 1960) sur lequel elle transfère son attirance fantasmée pour Quint. Ces plans volontiers malsains, malgré leur délicatesse visuelle, essuieraient sans nul doute les foudres de la censure aujourd’hui. Elles demeurent encore une source d’un malaise prégnant. Les innocents aborde le thème du puritanisme religieux dans sa volonté de démontrer que le refoulement du désir sexuel ne peut que conduire toute personne saine à la névrose et engendrer de dangereuses déviances. Ainsi, les apparitions, dont est victime l’héroïne, peuvent être vues comme les hallucinations d’un esprit dérangé, tourmenté par des désirs contradictoires entre morale et instinct.
La prestation subtile de Deborah Kerr est pour beaucoup dans la réussite de cette œuvre. Cette femme douce mais rigide se transforme progressivement en une hallucinée au bord de la folie, hantée par ses propres démons ou ceux supposés « réels » du manoir. On se souvient dès lors de Nicole Kidman dans le très beau Les Autres en 2001, qui s’inspira sans nul doute du personnage et de la performance de Deborah Kerr. Cet autre grand drame gothique de fantômes de l’Espagnol Alejandro Amenabar nourrit d’ailleurs quelques ressemblances volontaires avec l’œuvre de Jack Clayton. Si Les Innocents ne livre jamais de réponses sur sa nature fantastique ou psychologique, l’ensemble laisse planer le doute jusqu’à son final glaçant et traumatisant. Un chef-d’œuvre inscrit à jamais dans les grands classiques du cinéma fantastique et du cinéma tout court, à (re)découvrir impérativement au cinéma dès le mois de juillet prochain.
- Ressortie de LES INNOCENTS (The Innocents) de Jack Clayton en salles le 15 juillet 2015 en version restaurée.
- Avec : Deborah Kerr, Michael Redgrave, Megs Jenkins, Martin Stephens, Pamela Franklin, Peter Wyngarde, Clytie Jessop, Isla Cameron…
- Scénario : Truman Capote, William Archibald d’après Le Tour d’écrou de Henry James
- Production : Jack Clayton
- Photographie : Freddie Francis
- Montage : James B. Clark
- Décors : Wilfred Shingleton
- Costumes : Sophie Devine
- Musique : Georges Auric
- Distribution : Action Cinémas
- Durée : 1h39
- Date de sortie : Novembre 1961 (Royaume-Uni)
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