Synopsis : Professeur de philosophie, Abe Lucas est un homme dévasté sur le plan affectif, qui a perdu toute joie de vivre. Peu après son arrivée dans l’université d’une petite ville, Abe entame deux liaisons. D’abord, avec Rita Richards, collègue en manque de compagnie qui compte sur lui pour lui faire oublier son mariage désastreux. Ensuite, avec Jill Pollard, sa meilleure étudiante, qui devient aussi sa meilleure amie. C’est alors que le hasard le plus total bouscule le destin de nos personnages dès lors qu’Abe et Jill surprennent la conversation d’un étranger et s’y intéressent tout particulièrement. Après avoir pris une décision cruciale, Abe est de nouveau à même de jouir pleinement de la vie. Mais ce choix déclenche une série d’événements qui les marqueront, lui, Jill et Rita à tout jamais.
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Chaque nouvelle œuvre de Woody Allen est un évènement, et son génie n’est plus à démontrer à travers une carrière riche en chefs-d’œuvre. Un cinéma ambitieux qui n’a cessé de se réinventer au cours des dernières décennies. Après ses magnifiques BLUE JASMINE (notre critique) et MAGIC IN THE MOONLIGHT (notre critique), le réalisateur new-yorkais présente L’Homme irrationnel, hors-compétition sur le sol cannois. Tout débute par une présentation du personnage d’Abe Lucas (Joaquin Phoenix) à travers les bruits de couloir des étudiantes d’une université fréquentée par Jill Pollard (l’impeccable Emma Stone). Le nouveau professeur de philosophie est réputé alcoolique et coureur de jupons, évidemment sexy puisqu’il porte l’étiquette du bad boy érudit. Ce bourreau des cœurs entretient une relation dès son arrivée avec Rita Richards (Parker Posey). La légèreté du récit déjà prévisible nous amène rapidement et sans surprise à la rencontre entre le professeur et Jill, la meilleure de sa classe. La tournure narrative est donc du même acabit que sa trilogie britannique, intrigue faussement bluette sur fond criminel. C’est aussi là le principal problème d’Irrational Man, qui repose sur la même logique. Ce beau paquet rose romantique, une fois déballé, révèle donc la noirceur d’Abe Lucas. La réalisation accentue ces scènes en plans rapprochés des deux futurs amants, en proie à l’amour naissant avec les décors romancés en fond.
Idylle faussement amenée, mais déjà vue. Jill étant déjà en couple, la rupture met un temps fou à arriver et nous impose ses prémices par le biais de dialogues étonnement plats. Fait inhabituel chez Woody Allen qui maîtrise d’ordinaire l’éloquence. Même Joaquin Phoenix dans la première partie peine à convaincre dans son rôle de désillusionné, cousin bourgeois et philosophe de Bukowski, l’aspect dépressif davantage mis en avant. Pourtant, le réalisateur de Manhattan parvient à retourner la situation. Si le schéma narratif se devine rapidement, c’est dans son traitement qu’il surprend lié aux motivations profondes des deux personnages principaux. La thématique du vide affronte celle du désir, et provoque ainsi une logique paradoxale d’attirance et de rejet. L’élément perturbateur qui déclenche la fissure chez Abe plonge les héros dans une réflexion intéressante sur le bien et le mal. Le professeur de philosophie choisit la voie non-conventionnelle pour redéfinir l’existentialisme, et légitimer ses actions plus que discutables. Les plans sont ici plus efficaces que les dialogues car le récit part dans différentes directions narratives. La photographie de Darius Khondji éclaire ces lieux constamment ensoleillés en jouant sur les contrastes, entre zones d’ombre et surexpositions. L’enfer s’invite donc au paradis, comme dans les dernières œuvres du maître. Le tout est juxtaposé à une bande originale qui swingue, reflet sarcastique de la frivolité apparente. L’aboutissement est d’un cynisme réjouissant même si le deus ex machina est invoqué. Au final, une cuvée d’une qualité inférieure aux précédentes dans laquelle Woody Allen pratique un exercice de style qui remplit simplement son contrat néanmoins sans déplaisir.
- L’HOMME IRRATIONNEL écrit et réalisé par Woody Allen en salles le 14 octobre 2015.
- Avec : Joaquin Phoenix, Emma Stone, Parker Posey, Jamie Blackley, Meredith Hagner, Ethan Phillips…
- Production : Letty Aronson, Stephen Tenenbaum, Edward Walson, Jack Rollins.
- Photographie : Darius Khondji
- Montage : Alisa Lepselter
- Décors : Santo Loquasto
- Costumes : Suzy Benzinger
- Distribution : Mars Films
- Durée : 1h36
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